Face à la Sixième Extinction massive …quelle biodiversité choisir

Jeudi 6 novembre 2014  se tient à Paris une rencontre entre les experts français impliqués dans le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et ceux récemment sélectionnés pour contribuer à la Plate-forme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES, le « GIEC de la biodiversité »). Le caractère un peu obscur d’une telle information ne doit pas occulter des enjeux importants.

Les arbres d'Amazonie menacés par l'avidité capitaliste.
Les arbres d’Amazonie menacés par l’avidité capitaliste.

Alors que la France se prépare activement à accueillir fin 2015 une conférence internationale cruciale sur le changement climatique, notre planète entre, dans une indifférence quasi générale, dans une phase d’extinction de masse de la biodiversité. S’il s’agit de la sixième extinction de ce genre depuis que la vie s’est diversifiée sur Terre il y a 600 millions d’années, celle-ci se distingue en ce qu’elle est la première à être causée par une seule espèce, Homo sapiens, et à se produire à une telle vitesse. Destruction des habitats, surexploitation des ressources naturelles, pollution, espèces exotiques envahissantes et changement climatique sont quelques-uns des fléaux qui conduisent à une dégradation de plus en plus systématique des écosystèmes à l’échelle planétaire, condamnant probablement à l’extinction une espèce toutes les vingt minutes.

Protéger cette source de richesses et d’innovations

Les chaleurs extrêmes vécues depuis quelques années sont un avertissement à l'espèce humaine elle-même!
Les chaleurs extrêmes vécues depuis quelques années sont un avertissement à l’espèce humaine elle-même!

La biodiversité terrestre et marine est aujourd’hui présentée comme une série d’anecdotes : des populations d’abeilles déclinantes, des loups dangereux pour les moutons, des thons rouges traqués par des pêcheurs avides, des méduses surabondantes et dangereuses pour les touristes, des salamandres en voie d’extinction bloquant la construction d’une autoroute… La liste est longue et relève plus des faits divers que d’une approche scientifique ou politique. Dans l’esprit des décideurs comme dans celui de nombre de nos concitoyens, la biodiversité est sans doute un sujet de préoccupation, mais elle n’est pas considérée comme un élément fondamental de bien-être, de prospérité, ni d’arbitrage et d’orientation des politiques publiques. Au mieux s’agit-il d’un bien commun attachant et gratuit que l’on consent à protéger quand cela ne dérange personne mais que l’on sacrifie sans hésitation sur l’autel de toute autre préoccupation, en particulier économique et de court terme.

Il est pourtant bien établi à présent que notre prospérité repose sur ce socle naturel que nous dégradons de plus en plus rapidement. Préserver la biodiversité constitue la meilleure manière de garantir, de façon durable, la productivité et la stabilité des systèmes écologiques qui fournissent les biens et services nécessaires à notre vie quotidienne. Il faut protéger cette source inestimable de richesses et d’innovations, qui représente notre meilleure assurance face aux changements à venir.

Une période charnière de l’évolution humaine

Les entreprises  américaines et canadiennes sont responsable de 22 à 23% des émissions de  gaz à effets de serre.
Les entreprises américaines et canadiennes sont responsable de 22 à 23% des émissions de gaz à effets de serre.

Parce que le fonctionnement des écosystèmes et leurs relations avec les sociétés humaines sont extraordinairement complexes et difficiles à prédire, les décisions privées et publiques qui ont un impact sur la biodiversité ne peuvent se dispenser d’éclairage scientifique. C’est pour favoriser cette collaboration entre scientifiques et décideurs qu’a été créée l’IPBES en 2012. Cette plate-forme vise à confronter et synthétiser l’ensemble des connaissances produites sur la biodiversité pour informer les politiques publiques. Tout comme le fait le GIEC depuis 1988, l’IPBES devrait avoir un effet structurant sur l’activité des chercheurs dans les vingt années à venir. Les besoins sont immenses : centralisation des données, modélisation, intégration des connaissances traditionnelles, production et validation de rapports, communication en direction des citoyens et des politiques…

Si chacun peut s’accorder à souhaiter le succès d’une telle entreprise, les défis qui l’attendent sont considérables. D’une part, les problèmes du changement climatique et de la biodiversité, quoique fortement liés, sont de nature très différente (échelle géographique, unités de mesure, responsabilités et juridictions des États…). Les communautés scientifiques associées le sont également, la biodiversité étant un sujet d’étude très ancien et exploré par de nombreuses disciplines. En outre, si le GIEC trouve un écho direct et logique dans les négociations qui se tiennent dans le cadre de la convention climat, l’IPBES ne trouve pas d’équivalent avec la convention sur la diversité biologique car la biodiversité est largement placée sous juridiction nationale.

Si l’IPBES doit bien sûr tirer les leçons des succès et des échecs du GIEC et favoriser le renforcement des passerelles scientifiques entre les deux communautés, elle devra aussi s’en démarquer nettement dans son fonctionnement, ses produits et ses cibles. Nous sommes à une période charnière de l’évolution humaine et plus que jamais nous avons besoin d’une vision de l’avenir nourrie par nos connaissances sur le fonctionnement de la planète.

La biodiversité invite à repenser l’avenir de nos sociétés

L'avancée de plus en plus rapide des déserts nous menacera nous -mêmes!...ainsi que de nombreuses espèces!
L’avancée de plus en plus rapide des déserts nous menacera nous -mêmes!…ainsi que de nombreuses espèces!

Il ne faut cependant pas attendre des travaux de l’IPBES qu’ils répondent à toutes les questions cruciales de choix de société auxquelles la perspective de la sixième extinction de masse nous renvoie. En effet, il ne fait guère de doute que le monde peut, techniquement, continuer de s’enfoncer dans cette crise de la biodiversité sans que l’espèce humaine ne soit directement menacée, du moins à court terme.

La sixième extinction de masse de la biodiversité n’invite donc pas seulement à des débats techniques sur la « gestion » d’un « capital naturel » qui nous est précieux pour diverses raisons. Elle nous invite aussi et surtout à débattre de la nature que nous voulons, c’est-à-dire de l’environnement dans lequel nous voulons vivre. Récifs coralliens moribonds, océans sans poissons, forêts tropicales réduites à peau de chagrin, sols artificialisés, agriculture intensive faisant massivement appel aux intrants chimiques et à la pollinisation mécanique, le tout dans un contexte de réchauffement de 4 ou 6 °C, avec des millions de victimes chaque année de l’insécurité alimentaire, des inégalités croissantes, d’événements climatiques extrêmes ou plus simplement d’un environnement très dégradé néfaste à leur santé et impropre à leur épanouissement : que ce soit la direction que nous prenons pour l’instant ne fait guère de doute.

Que l’espèce humaine puisse continuer à exister dans de telles conditions est possible. Mais que ce monde, même vivable, ne soit pas désirable, et qu’il faille inventer d’autres futurs est un constat qui émerge et qu’il faut proclamer. Nous sommes nombreux à vouloir vivre entourés d’une nature riche et diversifiée, et à voir en la biodiversité infiniment plus qu’une collection d’images qui nous distrait le dimanche ou lors de périples à la campagne et au bord de la mer.

La biodiversité, ce tissu vivant de la planète dont nous faisons partie, nous invite à repenser l’avenir de nos sociétés : inventer de nouvelles formes de mobilisation des connaissances scientifiques dans le débat public et les institutions ; encourager les expérimentations fondées sur l’accompagnement de la nature plus que sur son contrôle ou son exploitation ; construire des alternatives aux modèles de développement insoutenables et morbides aujourd’hui dominants ; développer des visions du monde et des valeurs en phase avec les grands défis écologiques de notre temps. Voilà le chantier que nous propose la sixième extinction de masse, et c’est une chance unique pour l’humanité de choisir dans quel monde et avec quelle nature elle pourra continuer à s’épanouir.

 

Sources: Biodiversité:vers une sixième  extinction de masse

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