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Ce recueil de chroniques, publiées entre l’été 2013 et le printemps 2014, est disponible en téléchargement gratuit ici. Membre de l’Académie Royale de Belgique et professeur à l’UCL et à la Vlerick Business School, Bruno Colmant y revient longuement sur les sujets qui l’inquiètent à commencer par la dette publique et la déflation.
Certains affirment que vous avez beaucoup changé d’opinion au cours de cette crise. Et que l’on ne sait plus exactement où vous vous situez en tant qu’économiste. Vous êtes d’accord avec ces critiques?
Bruno Colmant: Un professeur d’université doit, avant toutes choses, être un chercheur rigoureux. Il est donc sain qu’il affine sa perception des événements, d’autant que la crise économique est instable et virale. J’ai donc étendu le champ d’analyse en intégrant de nouveaux éléments, dont le facteur social, que j’avais sous-estimé. Ma génération d’économistes a été formée dans le moule d’une économie absolue et mathématique, dissociée de tout référentiel politique. Or cette vision est incomplète et stérile.
Je garde deux convictions absolues. La première est que l’économie de marché est un modèle de prospérité, pour autant que cette dernière soit correctement redistribuée. Et puis, depuis quatre ans, je préconise l’inflation comme un moyen de sortie de crise. Cette intuition se vérifie, puisque la zone euro glisse dans la déflation (baisse généralisée des prix sur une longue période, Ndlr). C’est le reflet de politiques d’austérité erronément imposées en pleine récession et d’une monnaie trop forte, donc déflationniste et récessionnaire.
Dans l’introduction du livre, vous dites: “Je suis la victime probable de mes propres intuitions. J’ai l’impression que quelque chose d’oppressant se rapproche inéluctablement”. Quel sera cet événement précisément?
Ma véritable inquiétude, c’est la dette publique. Il s’agit non seulement de la dette apparente, égale à une année de richesse nationale, mais aussi de la dette latente et différée du vieillissement de la population, des pensions légales et des soins de santé. Il faut honorer ces contrats moraux et collectifs. Mais on n’y arrivera pas sans avoir la lucidité de structurer des solutions à long terme, c’est-à-dire un nouveau contrat social et fiscal.
Livre téléchargeable gratuitement
Le titre du dernier livre de Bruno Colmant est assez évocateur: “Du bon génie de l’inflation… à l’ogre de la déflation”.
L’ouvrage est téléchargeable gratuitement encliquant ici. Il est également disponible en version papier payante directement auprès des Éditions Anthemis (contact:info@anthemis.be).
La question n’est plus de savoir si les Etats de la zone euro sont en défaut: la plupart le sont sociétalement, dans la mesure où le poids des dettes publiques n’est plus transposable dans le futur. Ce n’est pas la dette, en tant que telle, qui importe, mais sa cohérence avec la prospérité et les revenus futurs. Cette dette ne finance d’ailleurs plus des investissements mais des transferts sociaux.
Au surplus, comment expliquer qu’une crise de l’endettement se règle à coups de rigueur budgétaire et de chômage, c’est-à-dire au détriment de ceux qui devront la rembourser? Comment sortirons-nous de ce piège infernal? Nombreux sont ceux qui invoquent la sortie “par le haut et par l’extérieur” de l’endettement public, c’est-à-dire par la croissance (qui diminue le poids relatif de la dette publique) ou par l’inflation (qui dilue la valeur de la dette). Malheureusement, il n’y a pas de croissance et l’obstination politique allemande écarte l’inflation. Concrètement, il faudra se préparer à un effacement des dettes dans des pays faibles. Ce ne sera pas un défaut généralisé de la dette européenne, mais des dissolutions et compensations nationales de dettes. La stupéfiante opération chypriote en est l’exemple parfait. Mais il y aura d’autres modalités: défauts (Grèce), annulation des dettes bancaires (Irlande) et confiscations (affectation obligatoire des pensions publiques au Portugal et réserves d’assurances en Hongrie).
En ouverture du livre, il y a aussi cette petite phrase de Christine Lagarde: “si l’inflation est le génie, alors la déflation est l’ogre qui doit être combattu fermement”. Vous êtes davantage d’accord aujourd’hui avec les déclarations du Fonds monétaire international (FMI) qu’avec celles de la Banque centrale européenne (BCE)?
Oui. Depuis l’éruption de la crise, une réalité est incontournable: la BCE, ayant transposé la politique monétaire de la Bundesbank, entretient une politique de déflation interne. Pourquoi une telle approche de la politique monétaire? Probablement parce que l’Allemagne considère que la vertu monétaire discipline une économie. Malheureusement, une déflation cache souvent une récession, comme l’expérimentent amèrement les pays du Sud de l’Europe. A partir du moment où, au moment d’un immense choc économique, seules des politiques de retour à l’équilibre budgétaire et de contrôle de l’inflation prévalent, la zone euro n’est-elle pas dans une prédisposition naturelle à la déflation? La question est aussi de savoir si le retour à l’équilibre budgétaire et la marche forcée vers le désendettement public sont de bonnes choses dans les difficultés contemporaines? Je ne le crois pas.
Vous êtes très critique vis-à-vis de Jean-Claude Trichet, l’ancien président de la BCE? Que peut-on lui reprocher exactement?
Jean-Claude Trichet a pris des décisions difficiles dans un contexte instable. C’était un fonctionnaire, imprégné de la lutte pour le franc fort, alors qu’il était directeur du Trésor et gouverneur de la Banque de France sous François Mitterrand. Au contraire, Mario Draghi est un banquier. L’erreur de Jean-Claude Trichet est de n’avoir pas pris la mesure de la gravité de la crise. Craignant une inflation fantomatique, il a augmenté, à deux reprises, le taux d’intérêt de la BCE au printemps 2011, en pleine crise souveraine. Il considérait aussi que la rigueur et l’austérité budgétaire contribueraient à apaiser les investisseurs. Cette théorie, héritée de l’économiste Ricardo, s’est avérée inadaptée. Il fallait adopter une politique monétaire assouplie, comme Keynes et Friedman l’auraient d’ailleurs suggéré.
Le bilan de Mario Draghi semble meilleur, non? Il réussit à influencer le marché avec ses seules paroles…
Sa gestion est habile, c’est vrai, mais la véritable question sera de savoir si la BCE sera capable de nous extraire du piège de la déflation par autre chose que des mots. En juillet 2012, le président de la BCE s’est engagé à faire tout pour sauver l’euro… mais force est de constater que contrairement aux bilans des autres banques centrales (Etats-Unis, Japon, Royaume-Uni), le bilan de la BCE s’est contracté. Cette contraction explique, entre autres, la force de l’euro et contribue probablement au cycle récessionnaire et déflationniste dans lequel l’Europe tombe. Aujourd’hui, le taux d’inflation dégringole. Le FMI et tous les économistes internationaux recommandent, avec une grande urgence, d’adopter une politique monétaire assouplie. Et pourtant, la BCE se borne à envisager d’imprécises mesures monétaires non conventionnelles sans reconnaître l’évidence du piège de la déflation.
Vous mettez aussi en cause la notion d’indépendance de la Banque centrale européenne. Or, c’est remettre là en question un critère fondateur de la BCE.
En Europe, la notion d’indépendance de la BCE, pierre angulaire du Traité de Maastricht, a émergé avec la construction de l’euro sous la pression allemande. La BCE a désormais créé une monnaie absolue fondée sur un taux “absolu” d’inflation de 2%. Elle est, de surcroît, très éloignée de l’exécutif européen. Est-ce optimal, sachant que la plupart des autres banques centrales gèrent des monnaies de manière relative, c’est-à-dire en tenant compte d’un faisceau de réalités, dont le taux d’inflation, mais aussi le cours de change et le niveau d’emploi, c’est-à-dire le niveau d’activité de l’économie réelle? Idéalement, la BCE devrait être subordonnée à un pouvoir exécutif européen, comme aux Etats-Unis pour la Réserve fédérale.
Certains économistes osent aujourd’hui douter de la pérennité de l’euro. Auparavant, c’était un sujet assez tabou. Vous pensez que l’euro pourrait disparaître un jour?
Même si l’euro est une monnaie unique sans plus être commune, son démantèlement serait une catastrophe. Mais le prix de sa survie sera un allégement autoritaire des dettes publiques et une véritable union budgétaire, fiscale et industrielle. Dans cette crise, seule la BCE a véritablement fait des progrès inespérés. C’est l’union politique qui est en déficit de développement.
(1) Du bon génie de l’inflation… à l’ogre de la déflation. Carnet de notes d’un économiste. Eté 2013-printemps 2014. Editions Anthemis, 218 pages.
Téléchargeable gratuitement.
L’ouvrage est également disponible en version électronique gratuite et au format papier, payant, directement auprès des Éditions Anthemis (contact:info@anthemis.be).