La base pour comprendre les fondements de nos institutions politiques.

 

Le Léviathan, de Thomas Hobbes, est un grand livre de philosophie politique, pour une simple raison : c’est sans doute ses préceptes qui ont le plus fondé nos régimes politiques modernes.

L’apport du Léviathan sur la conception de l’homme

Le Léviathan repose sur l’idée que les hommes ne peuvent pas s’entendre car trop méfiants et dominateurs pour cela. Il faut donc un tiers pour les faire se respecter l’un l’autre. Le Léviathan est ce tiers, cette force tutélaire qui s’impose aux contractants. L’anthropologie de Hobbes est pessimiste.

Pour instituer cette force politique transcendante, les hommes doivent renoncer à leur liberté naturelle et ainsi transférer au Léviathan le pouvoir de contrainte et la force. Pour quel bénéfice ? En échange de leur liberté naturelle, le Léviathan assure la protection de ses sujets et de leurs biens.

Pour sortir de l’état de nature, il faut quelque chose qui empêche les hommes d’agir comme des loups. Pour cela, les individus choisissent de passer un contrat social, où ils se dessaisissent de leur liberté naturelle et de leur autonomie pour la transférer au souverain.

En toile de fond, il est intéressant de noter le profond pessimisme de Hobbes sur la nature humaine, laquelle doit est telle qu’elle doive être contrecarrée par une force politique transcendante. Le Léviathan est la réponse pacificatrice aux instincts de destruction humains. La politique a pour but de civiliser l’homme. On est loin, ici, de l’absolutisme auquel on a souvent réduit la philosophie de Hobbes. Car si Hobbes n’est certes pas un démocrate, il reste que ce contractualiste pose l’Etat de droit comme un fondement de la politique moderne, afin que l’homme ne soit plus un loup pour l’homme.

Source:            https://la-philosophie.com/homme-loup-pour-homme-hobbes

 

La conscience et la vie (1919)

henri-bergson
Henri Bergson (1859 – 1941)

 

 

« Il me paraît donc vraisemblable que la conscience, originellement immanente à tout ce qui vit, s’endort là où il n’y a plus de mouvement spontané, et s’exalte quand la vie appuie vers l’activité libre. Chacun de nous a d’ailleurs pu vérifier cette loi sur lui-même. Qu’arrive-t-il quand une de nos actions cesse d’être spontanée pour […]

via La conscience et la vie – Henri Bergson — Aphadolie

“Nous sommes à la veille d’une mutation de l’espèce humaine” Joël de Rosnay — intérêt pour tous

Par Propos recueillis par Philippe Mabille et Dominique Pialot | 05/10/2016, 14:00 « Au transhumanisme, élitiste et narcissique, qui s’adresse à l’individu, je préfère l’hyperhumanisme, qui parle à la société. » (Crédits : Jean-Daniel Chopin) Scientifique, prospectiviste, l’auteur qui dans “Le Macroscope” en 1975 déjà avait vu venir les révolutions technologiques actuelles, surfe sur la vie comme sur les vagues.

via “Nous sommes à la veille d’une mutation de l’espèce humaine” Joël de Rosnay — intérêt pour tous

Vidéo:Albert Camus ,l’humaniste désenchanté

[youtube=http://youtu.be/hP2v4NtHnu8]

 

Albert Camus, né en 1913, grandit en Algérie où il fait ses débuts littéraire et devient journaliste. Installé à Paris pendant l’occupation, il intègre la résistance, devient rédacteur du journal « Combat » et publie ses premiers ouvrages. Après la Libération, son roman « La Peste » le consacre mondialement, mais ses critiques du totalitarisme lui valent l’opprobe de la gauche. A partir de 1954, l’humaniste désenchanté, déchiré par la Guerre d’Algérie, se voit reproché son rejet du nationalisme algérien. Trois ans plus tard, il obtient le prix Nobel de Littérature. Le 4 janvier 1960, agé de 47 ans, il trouve la mort dans un accident de la route.

Livre numérique:Némésis et tarte au riz de Frank Muller

 *Je vous offre aujourd’hui,non pas un livre ,mais une nouvelle numérique …car beaucoup de gens  n’ont pas toujours le temps de lire des livres entiers.Je choisirai à l’occasion de courtes nouvelles de qualité .

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 Les dinosaures nous ont montré la voie. Les pauvres, ils ne méritaient pas ça.

  Pour nous, ce n’est que justice dans le fond. On ne peut pas jouer au gamin gâté pendant des siècles sans s’attendre à recevoir une bonne claque à un moment ou à un autre. Il n’existe pas de fête éternelle. Cro-Magnon s’est bien marré, d’accord. Homo sapiens s’est bien gavé, tant mieux. Et même s’il y a eu des moments un peu pourris, quelques creux exécrables, faut reconnaître qu’on ne s’est pas gêné pour s’éclater. Va falloir ranger un peu maintenant. Fourrer les gobelets en plastique dans la poubelle, vider les cendriers dégueulasses et passer un coup de serpillière. Histoire de faire un peu de place pour les prochains noceurs. Un bon rocher de plusieurs milliards de tonnes sur le coin du crâne, y a rien de mieux pour remettre de l’ordre dans ce fouillis. Plus efficace que la Javel, y a pas photo.

 

  Les historiens, froids et désespérés, estiment que notre présence dans le grand mouvement du temps n’est qu’une anecdote.

  Les scientifiques, cyniques et lucides, admettent que notre existence est en grande partie due au hasard.

  Les religieux, fiévreux et transis, glorifient le doigt divin qui nous pointe pour cible, nous, pauvres êtres chimériques nés des entrailles du grand bonhomme.

  Louis, obsédé et honteux, hurle sans hésitation qu’il n’en a rien à foutre.

  Il revoit parfaitement la journaliste en pleurs qui a annoncé notre extinction dans un flash spécial, un mardi vers 21 heures. À un moment, il en est persuadé, elle a gerbé en se planquant derrière un prompteur.

  Un astronome polonais, Jaromir Kowalsky, désormais l’homme le plus célèbre de l’histoire — pour un bref moment — avait découvert l’objet céleste en décembre. Des équipes de confrères internationaux avaient procédé à près de huit mille calculs de vérification pendant deux mois. La conclusion avait malheureusement sauté aux yeux au bout de la vingtième équation. Un rocher essentiellement constitué de fer, de la taille d’un quart de Lune, fonçait vers nous à la vitesse d’un obus sidéral, soit à environ quarante kilomètres à la seconde. ZUT ! Quelqu’un allait pouvoir écrire « The end » sur la dernière page de l’encyclopédie Universalis.

 

  C’est dingue comme le chaos peut facilement se mettre en place. Comme s’il couvait, invisible, entre les rues et les âmes. La France s’embrasa littéralement, les USA implosèrent, l’Afrique… Non, l’Afrique ne fit rien, ça faisait déjà longtemps qu’on l’avait mise dans la merde. La Chine s’immola, le Japon se hara-kirisa, le Brésil se lambada, la Belgique trembla puis, comme toujours, trouva une solution. On concentra les biens de première nécessité dans des endroits faciles d’accès et connus de tous, puis on instaura une illusoire loi martiale et un couvre-feu à 19 heures. L’armée, la police, les pompiers, quelques fonctionnaires, ainsi que quelques « spécialistes » aux compétences particulières, tous enrôlés volontaires, furent regroupés au sein d’une entité de secours nommée Novam, sous contrôle du centre de crise permanent de Bruxelles, le C.C.B. Le Novam se chargeait avant tout de la protection et de la distribution des vivres, de l’eau et de l’électricité, mais gérait aussi d’autres domaines importants comme la sauvegarde culturelle — département dans lequel Louis traînait désormais ses afflictions.

 

  Dans les huit premiers jours qui avaient suivi l’annonce officielle de notre disparition imminente, 172 816 personnes avaient trouvé la mort entre Ostende et Arlon. Des suicides en grande partie, mais beaucoup d’incrédules — ou de cinglés — avaient aussi péri en essayant de voler des lecteurs DVD ou des iPod que des commerçants tout aussi incrédules — ou cinglés — avaient tenté de protéger.

  Il faudrait plusieurs milliers de pages pour rendre compte des événements dramatiques et insensés qui se sont déroulés pendant ces jours et ces nuits infernales mais, dans l’ensemble, disons que ça ne s’est pas trop mal passé. Au bout d’une semaine, tout le monde ou presque était épuisé de désespoir. Louis avait résumé ça par une formule griffonnée sur un coin d’annuaire lors d’une de ses nuits d’insomnies alambiquées :

  Extinction = plus d’avenir = plus de projet = plus de désir = plus de loi = RIEN.

  Plus rien ne sert à rien. Connaître la météo ? Pour quoi faire ? Aller au boulot ? Euh… Mettre des sous sur son livret d’épargne ? Pardon ? Du plus petit des détails aux choses les plus fondamentales, tout est devenu inutile. La raison a vaincu la folie, terrassée par l’évidence de notre vacuité. Les rues sont désertes, les magasins sont fermés, les portes des théâtres sont scellées, les feux de circulation ne fonctionnent plus, les poubelles s’entassent, les pigeons s’amusent. Chacun reste chez soi, calfeutré, en se regroupant par affinité familiale ou amicale, pour regarder la télévision, prier et discuter de ce qu’on a fait et de ce qu’on ne fera jamais. On ne sort que pour se rendre au centre Novam le plus proche et se réapprovisionner. On attend. Point. Bien sûr, il y a encore quelques quidams qui vagabondent : une minorité peu fréquentable de psychopathes, de dévots et d’instables qui ne contrôlent plus leurs pulsions et leurs fantasmes ; mais au final, l’apocalypse a des allures de lendemain de gala.

  La route qui emmène Louis vers l’enfer est pourtant pavée d’actes inutiles et incontrôlables, d’envies sournoises qui le grignotent de l’intérieur comme les mandibules d’un insecte. Il ne se rase plus et ne se lave plus les dents. Il préfère éviter son reflet dans le miroir. Il se dégoûte.

 

***

 

  Louis ralentit à pas d’homme pour profiter de la vue. La place St Lambert offrait sa désolation sous un soleil pâle d’avril. Le panorama était plus triste qu’effrayant. La plupart des monuments, semblables à des ruines après un bombardement, ne tenaient debout que par un miracle géométrique. Le palais des Princes-Évêques s’était consumé pendant quatre jours. Sa carcasse décharnée, torturée, éventrée, défiait quelque géant d’oser venir l’achever. Les galeries marchandes, autrefois bruyantes et agitées, s’étendaient désormais sans souffle, comme le cadavre oublié d’une vieille matrone. Près de la fontaine, une bande d’adultes formait un cercle autour d’une silhouette allongée au sol dans une mare de sang. Louis jeta un coup d’œil sur le fusil à pompe coincé sur le siège passager mais ne s’arrêta pas.

  Il gara la Citroën aux couleurs du Novam au coin de la place St Paul déserte. Le silence, uniquement perturbé par les gazouillis de quelques oiseaux inconscients du sort des hommes, l’entoura de sa présence envoûtante, comme un linceul maudit. Il prit le sac avec le matériel, réajusta la bandoulière du fusil accroché à son épaule, et claqua le coffre avec force. Le son, pareil à une détonation, résonna en échos multiples bizarrement rassurants. Il se dirigea vers la cathédrale et croisa quelques inconnus aux mines grises qui marchaient d’un pas pressé, les yeux baissés, l’échine courbée par le poids de l’angoisse. Louis se souvenait de ces jours de beau temps qui gonflaient les cœurs des Liégeois. Il en avait passé des heures à flâner dans le piétonnier ou à traîner à la terrasse d’un bistro en regardant les passants, en guettant leurs chuchotements et en s’imaginant leurs vies. Plus personne ne s’attarderait ici pour se délecter du temps qui passe. Nous étions tous déjà morts.

  Louis travaillait à la préservation du patrimoine. Plusieurs navettes spatiales chargées de milliards d’informations décolleraient bientôt pour transmettre notre souvenir à d’hypothétiques cousins extraterrestres. Un projet absurde mais romantique qui témoignait de notre candeur et de notre obsession à nous croire importants. Louis se chargeait de rédiger les biographies d’artistes liégeois anodins et de collecter des photographies haute résolution de leurs œuvres. Son travail, compressé sur de gigantesques disques durs, embarquerait bientôt vers le néant du vide sidéral.

  Le « client » du jour, un peintre sans importance, habitait derrière l’ancienne collégiale romane. Louis ne résista pas à l’envie de s’y recueillir un instant. Bien qu’agnostique depuis l’âge de raison, il avait toujours été émerveillé par l’atmosphère des églises. Une complainte mélodieuse l’accueillit comme par magie. Huit dames âgées, debout sous la splendide voûte bigarrée du transept, chantaient la gloire du Sauveur pour une centaine de pénitents songeurs. La douce lumière filtrée par les vitraux multicolores et l’odeur humide du bois et de la pierre parachevaient l’ambiance fantasmagorique du moment. Louis s’engagea sous la nef mais n’eut pas le courage de s’approcher. Il ne méritait pas cette beauté et quitta les lieux en tanguant, étourdi par l’expérience.

  Liège lui parut soudain plus ténébreuse encore, comme si tout ce qu’il restait de bon dans la ville avait trouvé refuge entre les briques sombres de la vieille cathédrale, dans le chant de quelques sexagénaires. Au loin, la fontaine de la Vierge à l’Enfant se dissolvait dans une brume sulfureuse. Au fond de son iris, la cité ardente s’évaporait déjà en volutes. Il secoua la tête et reprit sa route.

 

***

 

  Louis avait épousé une bouteille de whisky et ne lui était guère fidèle. Il succombait facilement à la tentation d’une bonne chope de bière, d’un pichet de vin ou d’un godet de péket. Il avait dit « oui » à l’alcool, pour le meilleur et pour le pire. Tout le monde ou presque ignorait qu’il était un pochtron de compétition depuis bientôt vingt ans. Les gens disaient qu’il avait une bonne descente, que c’était un sacré fêtard, mais ils ne se doutaient pas que son sang se transformait en confiture de genièvre, que ses globules blancs se dopaient au houblon. Ses amis se souvenaient vaguement du terrible accident de Clio qui l’avait tenu alité pendant plusieurs semaines mais personne ne savait qu’il avait perdu le contrôle de son véhicule avec 3,3 g d’un mélange explosif de bibine dans le sang. Louis était un alcoolo lucide et vergogneux, et dans le fond, il n’y pouvait rien.

  Gilbert Destrée ouvrit la porte avec la nervosité mêlée de timidité d’un gamin recevant la visite de St-Nicolas. Sa silhouette squelettique, dessinée sous un tablier centenaire couvert de taches de peinture, lui donnait l’allure d’un laborantin diabolique. Ses cheveux gris, filasses, flottaient autour de son visage anguleux. Sa peau, ratatinée par les décennies, couverte de sillons insondables, s’amalgamait de teintes changeantes, tantôt roses, tantôt jaunes. Louis présenta son badge du Novam mais l’artiste n’y prêta pas attention.

  « Entrez, entrez, dit le vieil homme. J’ai tout préparé », ajouta-t-il enthousiaste en tendant la main vers une série de tableaux aux couleurs vives.

  Louis fit trois pas en titubant, mal à l’aise devant ces œuvres abstraites médiocres qui respiraient la joie de vivre et la naïveté de l’enfance. Il n’avait jamais rien vu d’aussi obscène. À droite, sur un petit guéridon, trônait une tarte au riz. Le comble du luxe en ces temps de disette. Le vieil homme remarqua que la pâtisserie éveillait la curiosité de son hôte.

  « J’ai un ami boulanger. Il n’a pas renoncé à donner du plaisir aux gens. Ce sera notre récompense. »

  Louis acquiesça de la tête.

  « Je suis heureux, je suis heureux », ajouta le vieil homme dans un murmure.

  Ses longs doigts tordus par l’arthrite invitèrent Louis à se rapprocher de ses toiles.

  « Vous êtes heureux ? demanda Louis.

  — Bien sûr.

  — Nous allons tous mourir.

  — Memento mori, jeune homme. Une jolie lapalissade.

  — Oui, en effet, hésita Louis.

  — Mon travail filera bientôt vers le firmament des cieux. Quelle magnifique compensation.

  — Je vois.

  — Vous ne déballez pas votre matériel ?

  — Nous pourrions discuter un peu avant.

  — Oh », susurra le vieil homme, déçu, stoppé dans son élan.

  Ils prirent place sur deux canapés ancestraux couverts d’un velours verdâtre râpé.

  « Nous nous connaissons, affirma Louis.

  — Ah bon ? À quelle occasion, jeune homme ? demanda Gilbert sans dissimuler son intérêt.

  — Avant que vous ne séjourniez en prison », mâchouilla Louis.

  Son ton était froid comme la banquise. Le visage du vieil homme se voila.

  « Mes parents m’avaient inscrit dans l’association de jeunesse du village. Une excellente idée, a priori. J’étais un enfant turbulent.

  — Oui, oui, ronchonna Gilbert.

  — Vous vous souvenez ?

  — Nous changeons tous, dit le vieil homme en anticipant la suite du récit.

  — L’éducateur était un grand gars plein de rêves artistiques, continua Louis, comme s’il récitait un texte mille fois répété. Un salopard de vicelard qui s’est bien amusé avec les gosses. Ça vous dit quelque chose ? »

  Gilbert ne répondit pas. Sa bouche se tordit, ses yeux minuscules regagnèrent une grotte au fond de son crâne. Louis retrouva enfin les traits du monstre qui avait fait basculer sa vie. Le faciès hideux qu’il tentait désespérément d’effacer de sa mémoire à grand renfort de liqueur et de vinasse. Il se leva et arma son fusil avec un calme effrayant. Le vieil homme enfonça les doigts dans les accoudoirs. Ses phalanges rosirent. Son corps vibrait comme un robot de cuisine. Louis visa. Ses yeux se noyèrent dans ceux de sa victime.

  « T’iras pas au firmament, salaud. »

  Il appuya sur la détente.

  Louis ne voulait pas seulement que son persécuteur meure, il voulait être l’unique responsable de cette mort. La colère brûlait en lui, indomptable, souveraine, alimentée au charbon de ses douleurs. Il se détestait, conscient de céder aux désirs primitifs et dégoûtants qui sommeillaient au fond de sa sordide nature humaine, mais il ne pouvait lutter contre les tourments de cette volonté horrible, furieuse et aliénée. La vengeance le rongeait comme un poison noir enfoui au plus profond de ses entrailles. Il avait faim de chair, il était assoiffé de sang. La justice n’avait rien à voir là-dedans. Aucun rocher venu du fond des âges n’avait le droit de le priver de ce besoin d’ivresse, de cet appétit pour la mort. Il déglutit bruyamment, lâcha le fusil, et fixa un instant ses mains tremblantes de meurtrier. Il laissa son regard vagabonder une dernière fois sur les toiles joyeuses, flamboyantes, innocentes, puis se saisit d’un morceau de tarte qu’il enfourna en quatre bouchées. Un délice orgasmique ondula à la surface frémissante de sa peau. Il sourit et quitta l’atelier.

 

  Un jeune homme d’une vingtaine d’années l’attendait dans la rue étroite qui longeait le mur du cloître. Ses yeux avaient la couleur de la lave incandescente, au bout de ses doigts brillait un éclat d’onyx. Louis le trouva charmant. Marc Simonis — fils de Jean-Louis et Thérèse Simonis, décédés dans leur voiture en revenant d’un concert, percutés par un chauffard bourré dans une Clio — leva le bras, pointa le pistolet et logea deux balles dans la tête de Louis.

 

  Nous n’étions pas grand-chose et nous ne laisserons rien. Mais de ce rien renaîtra la vie, c’est sûr, sans passé, sans héritage, sans souvenirs. Heureuse, peut-être.

Un livre numérique important à lire:  » Une déflation cache souvent une récession « par Bruno Colmant

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Le titre du dernier livre de Bruno Colmant est assez évocateur: « Du bon génie de l’inflation… à l’ogre de la déflation ».

 

Ce recueil de chroniques, publiées entre l’été 2013 et le printemps 2014, est disponible en téléchargement gratuit ici. Membre de l’Académie Royale de Belgique et professeur à l’UCL et à la Vlerick Business School, Bruno Colmant y revient longuement sur les sujets qui l’inquiètent à commencer par la dette publique et la déflation.

Certains affirment que vous avez beaucoup changé d’opinion au cours de cette crise. Et que l’on ne sait plus exactement où vous vous situez en tant qu’économiste. Vous êtes d’accord avec ces critiques?

Bruno Colmant: Un professeur d’université doit, avant toutes choses, être un chercheur rigoureux. Il est donc sain qu’il affine sa perception des événements, d’autant que la crise économique est instable et virale. J’ai donc étendu le champ d’analyse en intégrant de nouveaux éléments, dont le facteur social, que j’avais sous-estimé. Ma génération d’économistes a été formée dans le moule d’une économie absolue et mathématique, dissociée de tout référentiel politique. Or cette vision est incomplète et stérile.

Je garde deux convictions absolues. La première est que l’économie de marché est un modèle de prospérité, pour autant que cette dernière soit correctement redistribuée. Et puis, depuis quatre ans, je préconise l’inflation comme un moyen de sortie de crise. Cette intuition se vérifie, puisque la zone euro glisse dans la déflation (baisse généralisée des prix sur une longue période, Ndlr). C’est le reflet de politiques d’austérité erronément imposées en pleine récession et d’une monnaie trop forte, donc déflationniste et récessionnaire.

Dans l’introduction du livre, vous dites: « Je suis la victime probable de mes propres intuitions. J’ai l’impression que quelque chose d’oppressant se rapproche inéluctablement ». Quel sera cet événement précisément?

Ma véritable inquiétude, c’est la dette publique. Il s’agit non seulement de la dette apparente, égale à une année de richesse nationale, mais aussi de la dette latente et différée du vieillissement de la population, des pensions légales et des soins de santé. Il faut honorer ces contrats moraux et collectifs. Mais on n’y arrivera pas sans avoir la lucidité de structurer des solutions à long terme, c’est-à-dire un nouveau contrat social et fiscal.

 

Livre téléchargeable gratuitement

Le titre du dernier livre de Bruno Colmant est assez évocateur: « Du bon génie de l’inflation… à l’ogre de la déflation ».

L’ouvrage est téléchargeable gratuitement encliquant ici. Il est également disponible en version papier payante directement auprès des Éditions Anthemis (contact:info@anthemis.be).

La question n’est plus de savoir si les Etats de la zone euro sont en défaut: la plupart le sont sociétalement, dans la mesure où le poids des dettes publiques n’est plus transposable dans le futur. Ce n’est pas la dette, en tant que telle, qui importe, mais sa cohérence avec la prospérité et les revenus futurs. Cette dette ne finance d’ailleurs plus des investissements mais des transferts sociaux.

Au surplus, comment expliquer qu’une crise de l’endettement se règle à coups de rigueur budgétaire et de chômage, c’est-à-dire au détriment de ceux qui devront la rembourser? Comment sortirons-nous de ce piège infernal? Nombreux sont ceux qui invoquent la sortie « par le haut et par l’extérieur » de l’endettement public, c’est-à-dire par la croissance (qui diminue le poids relatif de la dette publique) ou par l’inflation (qui dilue la valeur de la dette). Malheureusement, il n’y a pas de croissance et l’obstination politique allemande écarte l’inflation. Concrètement, il faudra se préparer à un effacement des dettes dans des pays faibles. Ce ne sera pas un défaut généralisé de la dette européenne, mais des dissolutions et compensations nationales de dettes. La stupéfiante opération chypriote en est l’exemple parfait. Mais il y aura d’autres modalités: défauts (Grèce), annulation des dettes bancaires (Irlande) et confiscations (affectation obligatoire des pensions publiques au Portugal et réserves d’assurances en Hongrie).

En ouverture du livre, il y a aussi cette petite phrase de Christine Lagarde: « si l’inflation est le génie, alors la déflation est l’ogre qui doit être combattu fermement ». Vous êtes davantage d’accord aujourd’hui avec les déclarations du Fonds monétaire international (FMI) qu’avec celles de la Banque centrale européenne (BCE)?

Oui. Depuis l’éruption de la crise, une réalité est incontournable: la BCE, ayant transposé la politique monétaire de la Bundesbank, entretient une politique de déflation interne. Pourquoi une telle approche de la politique monétaire? Probablement parce que l’Allemagne considère que la vertu monétaire discipline une économie. Malheureusement, une déflation cache souvent une récession, comme l’expérimentent amèrement les pays du Sud de l’Europe. A partir du moment où, au moment d’un immense choc économique, seules des politiques de retour à l’équilibre budgétaire et de contrôle de l’inflation prévalent, la zone euro n’est-elle pas dans une prédisposition naturelle à la déflation? La question est aussi de savoir si le retour à l’équilibre budgétaire et la marche forcée vers le désendettement public sont de bonnes choses dans les difficultés contemporaines? Je ne le crois pas.

Vous êtes très critique vis-à-vis de Jean-Claude Trichet, l’ancien président de la BCE? Que peut-on lui reprocher exactement?

Jean-Claude Trichet a pris des décisions difficiles dans un contexte instable. C’était un fonctionnaire, imprégné de la lutte pour le franc fort, alors qu’il était directeur du Trésor et gouverneur de la Banque de France sous François Mitterrand. Au contraire, Mario Draghi est un banquier. L’erreur de Jean-Claude Trichet est de n’avoir pas pris la mesure de la gravité de la crise. Craignant une inflation fantomatique, il a augmenté, à deux reprises, le taux d’intérêt de la BCE au printemps 2011, en pleine crise souveraine. Il considérait aussi que la rigueur et l’austérité budgétaire contribueraient à apaiser les investisseurs. Cette théorie, héritée de l’économiste Ricardo, s’est avérée inadaptée. Il fallait adopter une politique monétaire assouplie, comme Keynes et Friedman l’auraient d’ailleurs suggéré.

Le bilan de Mario Draghi semble meilleur, non? Il réussit à influencer le marché avec ses seules paroles…

Sa gestion est habile, c’est vrai, mais la véritable question sera de savoir si la BCE sera capable de nous extraire du piège de la déflation par autre chose que des mots. En juillet 2012, le président de la BCE s’est engagé à faire tout pour sauver l’euro… mais force est de constater que contrairement aux bilans des autres banques centrales (Etats-Unis, Japon, Royaume-Uni), le bilan de la BCE s’est contracté. Cette contraction explique, entre autres, la force de l’euro et contribue probablement au cycle récessionnaire et déflationniste dans lequel l’Europe tombe. Aujourd’hui, le taux d’inflation dégringole. Le FMI et tous les économistes internationaux recommandent, avec une grande urgence, d’adopter une politique monétaire assouplie. Et pourtant, la BCE se borne à envisager d’imprécises mesures monétaires non conventionnelles sans reconnaître l’évidence du piège de la déflation.

Vous mettez aussi en cause la notion d’indépendance de la Banque centrale européenne. Or, c’est remettre là en question un critère fondateur de la BCE.

En Europe, la notion d’indépendance de la BCE, pierre angulaire du Traité de Maastricht, a émergé avec la construction de l’euro sous la pression allemande. La BCE a désormais créé une monnaie absolue fondée sur un taux « absolu » d’inflation de 2%. Elle est, de surcroît, très éloignée de l’exécutif européen. Est-ce optimal, sachant que la plupart des autres banques centrales gèrent des monnaies de manière relative, c’est-à-dire en tenant compte d’un faisceau de réalités, dont le taux d’inflation, mais aussi le cours de change et le niveau d’emploi, c’est-à-dire le niveau d’activité de l’économie réelle? Idéalement, la BCE devrait être subordonnée à un pouvoir exécutif européen, comme aux Etats-Unis pour la Réserve fédérale.

Certains économistes osent aujourd’hui douter de la pérennité de l’euro. Auparavant, c’était un sujet assez tabou. Vous pensez que l’euro pourrait disparaître un jour?

Même si l’euro est une monnaie unique sans plus être commune, son démantèlement serait une catastrophe. Mais le prix de sa survie sera un allégement autoritaire des dettes publiques et une véritable union budgétaire, fiscale et industrielle. Dans cette crise, seule la BCE a véritablement fait des progrès inespérés. C’est l’union politique qui est en déficit de développement.

(1) Du bon génie de l’inflation… à l’ogre de la déflation. Carnet de notes d’un économiste. Eté 2013-printemps 2014. Editions Anthemis, 218 pages.

Téléchargeable gratuitement.

L’ouvrage est également disponible en version électronique gratuite et au format papier, payant, directement auprès des Éditions Anthemis (contact:info@anthemis.be).

Poésie: Sol Invictus des misères de Dionysos

Bain

(Bain)

Pour qui prophétise Héraclite d’Éphèse ? Pour les rôdeurs de la nuit, les lènes, les bacchants,les mystes…

Dieu est jour et nuit, hiver et été, rassasiement et famine. Il change comme [le feu] qui, quand il est mêlé aux parfums, reçoit un nom selon le plaisir de chacun.

La loi, c’est aussi obéir à la volonté d’Un.

De toi, Ô Hellade baignée par les flots du soleil invaincu, quelle grâce n’avons nous reçue ?

La splendeur des dieux miroitant sur le monde
La chair d’aphrodite éclatant entre les dents par la pulpe des fruits
Le sang de Dionysos versé dans la coupe et déversé en libations sur le feu
La fumée des sacrifices comme des mains familières tendues vers le Ciel ouranien
Les hiérarchies angéliques claires comme les cascades des collines
Les grottes des mystères semblables aux ruches de l’Hymette
Le miel de ta voix et le miel de ta peau
Et la liberté, la liberté enroulée dans l’amitié et le sang des hommes
La liberté des Cités face aux Empires du monde .

En toi la vie se remémore comme la mer se recommence
L’homme boit à la source au pied du Cyprès
En toi se sont baignés tant d’hommes nobles et sages
Des loups comme des anges de Dieu
Et le corps blanc des amoureuses
Et l’amant du Vin comme l’amant du Soleil
Il n’est nulle renaissance dont tu ne sois promesse
Nulle gnose qui n’ait parlé la langue solaire
Nulle puissance dont tu ne sois l’aurore
Nulle grandeur que tes colonnes ne puisse porter

Encore vers la mer au soleil se porte mon espoir
Encore vers les chemins de calcaire vibrants de grands insectes se portent mes pas
Que se taise la roche couverte de chênes habités des dryades
Que se taisent les sources qui jaillissent de la pierre
Et les bêlements confus des brebis qui ont mis bas :
Car lui-même, Pan, module sa syrinx aux bons sons,
Roulant une lèvre souple sur les roseaux bien joints
Et autour de lui, sur leur pieds agiles, forment un chœur ou dansent
Les nymphes des eaux claires, les nymphes des grands arbres !
Et l’oiseau ne saurait le dépasser en ses chants
L’oiseau qui au printemps fleuri fait retentir sur les feuilles son thrène au son doux
!

Tu étaient nue, Grèce, et si infertile pour les richesses des marchands
Et si faible, et si grande
Tes juges acquittaient la prostituée, prêtresse d’Aphrodite, accusée d’impiété
A la vue de la splendeur de son corps consacré aux dieux
De peur de toucher à l’empreinte de la déesse
Si grande
Que tous les Empires ne peuvent te faire plier
Ni oublier

L’Amour, principe d’ordre pour l’ensemble des dieux ainsi que des hommes, chef de chœur le plus beau et le meilleur, que doit suivre tout homme, en chantant avec harmonie sa partie et en participant à cette symphonie par laquelle ce magicien charme l’esprit des dieux et des hommes . (Platon, Banquet .)

Et ceux qui furent tes vainqueurs furent tes amants
Couronnés de laurier et de l’or des dieux
Hölderlin comme la Pythie vaticinent au soleil
Avec Nietzsche et les errants de la nuit

Ô délices des aurores et délices des crépuscules
Qu’il compte d’abord les grains de sable de l’Afrique ou les astres étincelants, celui qui veut compter les mille et mille joies de votre jeu d’amour
Car je t’aime, ô éternité

Et délices de tes cheveux noirs !

 

(Auteure inconnue)