Il semble de plus en plus probable que plusieurs pays, dont le Canada, entreront bientôt en récession. Mais ce choc ne devrait pas être trop violent et déboucher rapidement sur une embellie, pensent des experts. Du moins, ils l’espèrent.

Invité mardi à prononcer un discours devant des étudiants de l’Université de Waterloo, le sous-gouverneur de la Banque du Canada, Paul Beaudry, n’a pas voulu estimer les risques que la hausse rapide des taux d’intérêt des derniers mois réussisse si bien à freiner l’élan des consommateurs et des entreprises qu’elle finisse par faire basculer l’économie canadienne en récession. Le président de la Réserve fédérale américaine, Jerome Powell, ne l’a pas dit non plus le lendemain, mais c’était tout près. « Les chances d’un atterrissage en douceur diminuent », a-t-il admis après avoir augmenté les taux d’intérêt d’un autre 0,75 point de pourcentage, dans sa lutte sans trêve contre l’inflation. « Personne ne sait si ce processus conduira à une récession et, si c’est le cas, quelle sera la gravité de cette récession. »
La Banque d’Angleterre, quant à elle, n’a pas pris de détour au moment d’annoncer, jeudi, une septième hausse d’affilée de son taux directeur, en ajoutant que l’économie britannique était vraisemblablement déjà en récession. « Il y a une forte probabilité que Hong Kong enregistre une croissance négative du PIB cette année », a aussi fait savoir de l’autre côté du globe son secrétaire aux Finances, Paul Chan, a rapporté l’Agence France-Presse.
La récession qui vient
Plusieurs autres suivront, a indiqué mardi Ben May, directeur de la recherche à la firme d’analyse Oxford Economics. En fait, sur 25 économies développées analysées, au moins 14 devraient entrer en récession d’ici la fin de l’année ou le début de 2023, dont les États-Unis, la plupart des pays européens et le Canada.
On entend souvent dire que la définition technique d’une récession est la présence de deux trimestres consécutifs de croissance économique négative. À ce compte-là, l’économie américaine serait déjà en récession depuis le début de l’année, son recul en rythme annualisé étant de 1,6 % au premier trimestre et de 0,6 % au deuxième. Mais une véritable récession est plus que cela. Elle vient aussi avec un recul important de l’emploi, une baisse marquée des revenus, ainsi qu’un repli de la production, des ventes et de l’investissement, rappelait cette semaine l’Associated Press. Les États-Unis n’en sont pas encore là.
Dans le cas présent, le ralentissement économique viendra en grande partie de la guerre que les banques centrales livrent à l’inflation à coups de hausses des taux d’intérêt, mais pas seulement, expliquait dimanche l’économiste britannique Adam Tooze aux abonnés de son infolettre. Il vient du fait qu’elles en font beaucoup trop et beaucoup trop vite parce qu’elles n’ont pas su se coordonner dans leur action et que cela s’accompagne en même temps d’une réduction tout aussi brutale des dépenses des gouvernements.
Au Québec
Au Canada, la récession commencera vraisemblablement dans les prochaines semaines, a prédit mardi Tony Stillo, un autre analyste d’Oxford Economics. Elle sera notamment causée par l’incidence de la hausse des taux d’intérêt sur des Canadiens plus endettés aujourd’hui (1,82 $ pour chaque dollar de revenu disponible) que ne l’étaient les Américains au moment de la dernière crise financière. Elle viendra aussi de leur perte de pouvoir d’achat causée par l’inflation et des répercussions du ralentissement économique mondial sur leurs exportations.

La contraction de l’économie canadienne serait toutefois relativement modérée et devrait prendre fin au milieu de l’année prochaine, pour un recul total de 1,8 % du produit intérieur brut, estime l’économiste. Ce serait moins élevé que la moyenne des récessions des 50 dernières années (-2,5 %), et beaucoup moins que les crises de 1981-1982 (-5,4 %), de 2008-2009 (-4,4 %) et que les six premiers mois de la pandémie de COVID-19 (-13 %).
Les économistes du Mouvement Desjardins s’attendent, eux aussi, à une « légère récession » durant la première moitié de l’année prochaine, ont-ils fait savoir jeudi dans la mise à jour de leurs prévisions économiques. Le Québec devrait, pour sa part, parvenir à s’en tirer, mais tout juste, avec une activité économique « presque neutre jusqu’à la mi-2023[, mais] la ligne sera mince entre une très faible croissance et un léger recul du PIB réel ». À seulement 4,5 % le mois dernier, le taux de chômage devrait ainsi approcher les 6 % dans un an, mais restera relativement bas en raison de la pénurie de main-d’oeuvre.
Comme la plupart des économies développées ne présentent pas de grands déséquilibres ou de grande vulnérabilité, elles ne devraient pas trop accuser le coup de leurs modestes récessions en plus d’en ressortir largement débarrassées de leurs problèmes d’inflation et d’embouteillage dans les chaînes d’approvisionnement, pense Ben May. D’un autre côté, avec toutes les tuiles qui leur sont tombées dessus dans les derniers mois, il n’est pas impossible que d’autres malheurs s’abattent sur elles.
Note électorale
Dans son Rapport préélectoral contrôlé par la vérificatrice générale, le ministère des Finances du Québec avait prévu une « provision pour risques économiques » de 2 milliards par année, pour un total de 10 milliards sur cinq ans, dans l’éventualité d’un choc économique comme une récession. Dans leurs cadres financiers, le Parti libéral du Québec et le Parti québécois ont éliminé cette provision, alors que la Coalition avenir Québec a réduit son total de deux milliards pour la fin de la période visée et que le Parti conservateur du Québec et Québec solidaire l’ont laissée essentiellement telle quelle.