Ou va le travail?

« La double équation « le travail c’est la vie, et la vie c’est le travail » ne se vérifie pas. Les arrêts de travail en raison de maladies psychiques augmentent dans des proportions effrayantes, tout comme la consommation de produits psycho-pharmaceutiques permettant la préservation de la capacité de travail. Dépression et « burn out » sont désormais perçus comme des « maladies de société ». Même le suicide se métamorphose en « séries noires » dans les journaux télévisés. Une vie vouée exclusivement au travail, sans la possibilité de se réfugier dans la sphère de la reproduction – sphère dissociée et dévalorisée obéissant à une autre logique – n’est assurément pas vivable.

La conclusion s’impose :

« Être un travailleur n’a rien de glorieux. Une politique de l’emploi digne de ce nom n’aurait pas pour objectif un travail plus juste, un travail meilleur ou plus ou moins de travail, mais la fin du travail. » »

Travailleurs

 

La thèse enrichissante selon laquelle le capitalisme est déjà mort impose une question tout aussi enrichissante : que devient le travail désormais orphelin de la traditionnelle exploitation capitaliste ? La résolution à venir des crises écologique et sociale monstrueuses que nous a délibérément légué le capitalisme devra impérativement s’occuper de définir ce qui remplacera le travail dans la société nouvelle. Un travail de titans !

Dans leur ouvrage paru en 2012, « Dead Man Working » [1], Carl Cederström et Peter Fleming, entament leur analyse par un constat remarquable :

« Même ses plus ardents partisans reconnaissent que le capitalisme a rendu l’âme à un moment ou à un autre des années 1970. Tous les efforts pour le ranimer ont échoué. Pourtant bizarrement, à présent qu’il est mort, le voilà devenu […] plus puissant et plus influent que jamais. Ce livre s’intéresse à ce que signifie vivre et travailler dans un monde mort. » [2]

Ils interrogent notamment ce fait paradoxal : bien que « l’ère du travail » prend fin, la lutte pour des « jobs » toujours plus précaires et dénués de sens a toujours plus de férocité et prend des formes de plus en plus anormales. Confronté à la disparition du travail et donc avec lui de la « substance du capital » – pour reprendre le concept fondamental de Marx – le capitalisme est devenu incapable de réagir de façon ordonnée, par exemple en partageant équitablement le travail restant. Au contraire, au nom de l’avantage à conserver au sein de la concurrence exacerbée, il convient d’extraire de ceux qui ont un emploi jusqu’à la dernière parcelle de plus-value.

Bien sûr, l’exploitation du travail n’est pas nouvelle, puisqu’en son absence il n’y aurait pas même de capitalisme. Ce qui est nouveau, c’est l’abolition de la frontière entre travail et temps libre, production et reproduction :

« Le capitalisme actuel a ceci de particulier que son influence s’étend bien au-delà du bureau. Le fordisme laissait encore les week-ends et le temps libre relativement intacts. Leur rôle était de soutenir indirectement le monde du travail. Aujourd’hui, en revanche, le capital cherche à exploiter notre socialité même, dans toutes les sphères de la vie. À partir du moment où nous nous transformons tous en capital humain, on ne peut plus se contenter de dire que nous avons ou que nous effectuons un job. Nous sommes le job. Y compris lorsque la journée de travail paraît finie. » [3]

Selon Cederström et Fleming, il en résulte l’espèce des « dead men working », les morts-vivants qui travaillent, incapables de vivre vraiment et attendant une fin qui pourtant ne vient pas.

L’extension du travail à toutes les sphères de la vie est accompagnée, dans l’autre sens, de tentatives de gestion des ressources humaines « libératrice » (liberation management) visant à faire entrer la « vie » dans le travail. Ainsi, on rencontrera, jusqu’au plus pathétique, des « exercices de mise en d’équipe » (team-building exercises) s’apparentant aux anniversaires d’enfants, des invitations à être « authentique » en toutes circonstances, à prendre le lieu de travail pour sa salle de séjour, et même à libérer sa haine du capitalisme. Tout cela consiste à faire en sorte que les employés s’investissent entièrement dans leur travail et « profitent » d’autant à l’entreprise.

Seulement voilà : la double équation « le travail c’est la vie, et la vie c’est le travail » ne se vérifie pas. Les arrêts de travail en raison de maladies psychiques augmentent dans des proportions effrayantes, tout comme la consommation de produits psycho-pharmaceutiques permettant la préservation de la capacité de travail. Dépression et « burn out » sont désormais perçus comme des « maladies de société ». Même le suicide se métamorphose en « séries noires » dans les journaux télévisés. Une vie vouée exclusivement au travail, sans la possibilité de se réfugier dans la sphère de la reproduction – sphère dissociée et dévalorisée obéissant à une autre logique – n’est assurément pas vivable.

La conclusion s’impose :

« Être un travailleur n’a rien de glorieux. Une politique de l’emploi digne de ce nom n’aurait pas pour objectif un travail plus juste, un travail meilleur ou plus ou moins de travail, mais la fin du travail. » [4]

Évidemment, il faudrait alors mettre fin en même temps au « patriarcat capitaliste » : une autre gageure. Dans la société bonne restant à construire le travail aura changé de nature profonde en même temps que de nom. Des rapports sociaux et de production basés sur tout autre chose que la domination du capital sur le travail pourrait naître enfin. Le libre consentement à l’effort producteur des richesses nécessaires aura remplacé la contrainte omnipotente. Un pari sur la bonne volonté des hommes ? Certes ! Et l’humanité d’y gagner en dignité.

(Source :Yann Fiévet ,Le Grand Soir.info,Sylvain Jonathan )

La fraude de la robotique et de l’abolition du travail,en Occident

Je suis roboticien de par l’un de mes métiers.Je me souviens que dans les années ’80 quand j’arrivais sur un milieu de travail,tout le monde dans les usines me regardait comme une personne exceptionnelle.Ce que les travailleurs de l’époque finirent par comprendre,c’est que dans le système capitaliste,un roboticien ,c’est quelqu’un qui améliore la rentabilité d’une entreprise en éliminant des emplois.

Je me souviens qu’en 1987,je travaillais à contrat en tant qu’électromécanicien en robotique.J’avais reçu le mandat de robotiser une machine qui donnait de l’emploi à 6 personnes.À cette époque,j’avais  souvent de semblables travaux  et j’ai particulièrement travaillé sur des prototypes,fort couteux. Je me souviens fort bien que dans cette usine qui fabriquait des plaquettes de freins ,le directeur-gérant m’avait octroyé une somme d’argent importante,à titre de budget pour modifier considérablement la « dite » machine.

À la fin de mon travail,la machine produisait  plusieurs fois,en une heure,ce qu’elle donnait avant la robotisation.

Résultat: la compagnie augmentait radicalement sa marge de profits,tandis que 5 personnes perdaient leur emploi (4 des employés attitrés à la machine…et moi-même,car on me congédiait après m’avoir donné une bonne poignée de main et un tas de remerciements. C’est à compté de ce jour-là que je me suis mis à changer ma vision de la vie et à méditer sur le sens profond de l’existence de l’humanité.

C’est aussi le propre d’un électromécanicien que de réfléchir avant d’agir.

Michel Duchaine (expériences personnelles)

Une ligne de production robotisée
Une ligne de production robotisée
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*C’est exactement ça qu’il va falloir comprendre un jour…La solution ne viendra pas dans la création d’emploi, mais dans la distribution d’un revenu de base pour tous.

« Le travail disparaît, c’est quelque chose qu’on a voulu. J’ai vécu dans les années 50. On nous expliquait ce que serait l’an 2000. On ne travaillerait plus, on serait remplacé par des machines et des robots. On irait à la pêche avec ses enfants et petits enfants. C’est cela qu’on voulait. Pourquoi ? Parce qu’il y avait du travail extrêmement monotone, du travail extrêmement dangereux, c’était un travail qui épuisait les gens…

Qu’est-ce qui s’est passé ? Jean de Sismondi disait que toute personne qui serait remplacée par une machine aurait droit à une rente à vie, qu’il recevrait une part des richesses créée par cette machine. Où va cette richesse ? Elle va aux investisseurs et aux actionnaires. On a pas pensé aux conséquences. Il fallait que les gens aient des revenus bien qu’il n’y ait plus de travail. Alors on dit aux chômeurs de trouver quelque chose mais le travail n’existe plus ». » Paul Jorion

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Trois millions de chômeurs en France, 600 000 en Belgique pour quatre millions d’actifs, 50% des jeunes au chômage en Espagne, plus de 10% de demandeurs d’emplois sur l’ensemble de la zone Euro. Alors que l’emploi périclite un peu partout en Europe, que les rangs des chômeurs ne cessent de grossir, notre social-démocratie et ses trucages néo-libéraux continuent en dépit du bon sens à promouvoir délibérément le travail. Au point de vouloir l’intensifier, le flexibiliser, le précariser…

Soit un parfait contresens, à la mesure de ces progrès techniques qui ont permis à bon nombre d’individus d’être libérés de certaines tâches dégradantes. Que ceux qui n’en sont pas convaincus regardent « Avec le sang des autres », un documentaire sur les réalités du travail à la chaîne de Bruno Muel.

 « Le travail disparaît »

Pourquoi maintenir la journée de travail à huit heures par jour lorsque le travail mort, le travail fait par les machines, ne fait qu’augmenter ?
Pourquoi le système aboli le travail humain par la mécanisation sans vouloir dispenser l’homme du facteur travail ?

Littéralement nous sommes passés du travail de production à la production de travail pour aboutir à sa destruction. Entre les deux se produit ce phénomène de multiplication des postes « à responsabilités » au dépend des emplois réellement productifs. Chacun à son niveau est confronté à cette réalité. Il suffit de compter les emplois les plus nombreux… Se trouvent-ils encore dans les secteurs industriels ? Non. Et comme le déclarait Paul Jorion, chercheur en science sociale :

Le travail disparaît, c’est quelque chose qu’on a voulu. J’ai vécu dans les années 50. On nous expliquait ce que serait l’an 2000. On ne travaillerait plus, on serait remplacé par des machines et des robots. On irait à la pêche avec ses enfants et petits enfants. C’est cela qu’on voulait. Pourquoi ? Parce qu’il y avait du travail extrêmement monotone, du travail extrêmement dangereux, c’était un travail qui épuisait les gens… 
Qu’est-ce qui s’est passé ? Jean de Sismondi disait  que  toute personne qui serait remplacée par une machine aurait droit à une rente à vie, qu’il recevrait une part des richesses créée par cette machine. Où va cette richesse ? Elle va aux investisseurs et aux actionnaires. On a pas pensé aux conséquences. Il fallait que les gens aient des revenus bien qu’il n’y ait plus de travail. Alors on dit aux chômeurs de trouver quelque chose mais le travail n’existe plus ».

robotique 01

Telle est la situation en Europe, une situation qui n’a fait que se confirmer depuis les premiers spectres de la crise. Quarante années où le chômage n’a jamais cessé de croître, quarante ans de recherche de la seule, bonne et unique méthode pour parvenir au plein-emploi.

Quarante années où nos élites se sont bornées à ne pas vouloir suivre la seule mesure de bon sens qui s’imposait : répartir le travail sur le plus grand nombre pour que chacun d’entre nous puisse pleinement vivre plusieurs vies, des vies faites de détente, de repos, de découvertes…Plusieurs vies où chacun aurait le temps et les moyens de cultiver et de se cultiver…

Un monde sans chômeur

Selon la lecture marxiste, le chômeur constitue l’armée de réserve de l’appareil productif. Il n’est rien de plus qu’un acteur social instrumentalisé par le grand capital afin de placer les travailleurs en concurrence. Le chômeur représente le médiateur qui justifie, en situation de crise, la baisse des salaires et l’accroissement du taux d’exploitation des travailleurs tout en lésant peu la classe possédante. Mais comme le précisait Paul Lafargue, gendre de Karl Marx, auteur du sémillant recueil « le droit à la paresse » :

En dépit des falsifications industrielles, les ouvriers encombrent le marché innombrablement, implorant : du travail ! , du travail ! Leur surabondance devrait les obliger à réfréner leur passion ; au contraire, elle la porte au paroxysme. Qu’une chance que le travail se présente , ils se ruent dessus…Tous les ans, dans toutes les industries , des chômages reviennent avec la régularité des saisons. Au surtravail meurtrier pour l’organisme succède le repos absolu pendant des deux et quatre mois ; et plus de travail, plus de pitance.

Est-ce donc une utopie de vouloir cesser de travailler ? Est-il bon de rappeler le sens profond de ce mot ? La racine latine du mot travail (tripalium) évoque la notion de douleur, on l’associe à un instrument de torture et d’immobilisation. A Paul Lafargue d’ajouter, comme bon nombre de gens raisonnables à sa suite  :

Puisque le vice du travail est diaboliquement chevillé dans le coeur des ouvriers ; puisque ses exigences étouffent tous les autres instincts de la nature ; puisque la quantité de travail requise par la société est forcement limitée par la consommation et par l’abondance de matière première, pourquoi dévorer en six mois le travail d’une année ? Pourquoi ne pas le distribuer uniformément sur les douze mois et forcer tout ouvrier à se contenter de six ou cinq heures par jour ? »

J’entends bon nombre de nos semblables, remettre en cause le monde du travail et sa logique mais si elle se perpétue, n’est ce pas parce que nous y participons ? Parce que nous coopérons ? Le travail tel qu’il est conçu et pensé aujourd’hui ne constitue-t-il pas l’épine dorsale du système capitaliste ?

N’est ce pas la conception capitaliste du travail qui permet aux riches d’être encore plus riches et aux pauvres encore plus appauvris ? Demandez donc à Albert Frère, à Etienne Davignon, à Laguardère à Mittal, à tous ces multimillionnaires ce qu’ils en pensent ? Quel est le sens de toutes ces heures de travail s’il est vidé de toute portée sociale ? Il n’est pas question de faire les éloges de l’oisiveté, nous connaissons trop bien les effets désastreux de l’inactivité et dans quelle mesure il est cause de dégénérescence, il est plutôt question de tout mettre en oeuvre pour libérer l’homme de l’obligation de travailler afin de rendre sa vie morale, politique, intellectuelle plus intense.

Le sociologue Michel Clouscard affirmait dans un de ses ouvrages, qu’au moyen-âge il fallait 28 heures de travail abstrait pour une once de pain, maintenant il nous faut moins d’une demi heure. L’industrialisation peut libérer l’humanité de la terreur (du manque), garantir la vie de subsistance en libérant tout un temps de travail qui avant ne suffisait même pas à acquérir le nécessaire pour vivre… La logique actuelle ne vise -t-elle pas à nous ramener dans ce schéma existentiel de pénurie et de carence ? Nous cherchons à le combattre en intensifiant le travail avec l’espoir de gagner plus, soyons conséquents et faisons le contraire !

Aujourd’hui et plus que jamais la journée de travail de quatre heures devient une nécessité !

(Source:Laurent Bodenghien)

L'exploration spatialke est le plus grand avenir de la robotique.
L’exploration spatialke est le plus grand avenir de la robotique.