Question pour le Jour de la Terre 2018:Peut-on vivre sans plastique?

 

Chantal Plamondon de Life Without Plastic.

En 2003, Chantal Plamondon et Jay Sinha étaient loin de se douter que leur virée pour trouver un biberon en verre dénué de plastique à leur nouveau-né allait les lancer dans une quête qui allait changer leur vie.

Avant même que le problème des BPA soit sur la carte, la jeune mère de famille, alertée par les premiers articles faisant état des risques posés par le plastique des biberons, s’est lancée à la recherche d’un modèle en verre.

« J’ai fouillé tous les magasins, appelé toutes les compagnies. Ça ne se vendait plus. J’ai fini par trouver un seul fabricant, en Ohio aux États-Unis, qui en avait encore en entrepôt. J’ai dû acheter un lot de 1000, que j’ai décidé d’écouler en ligne à d’autres parents qui en cherchaient. C’est là que notre aventure a commencé », raconte Chantal, aujourd’hui à la tête d’un organisme qui compte des milliers de sympathisants à travers le monde.

Ces deux Québécois visionnaires sont à la tête de Life without Plastic (LWP), un projet né du constat que le plastique est partout, au grand dam de ceux qui souhaitent s’en passer par souci de la planète ou pour des raisons de santé.

C’est en cherchant à éliminer les produits non biodégradables de leur quotidien que Chantal, conseillère en éthique, et Jay, biochimiste, se sont mis à la recherche de centaines de substituts au plastique à travers le monde.

« J’ai vite réalisé que je n’étais pas seule à chercher ses solutions. Plein de gens me demandaient en ligne où trouver ces articles », dit-elle.


EN COMPLÉMENT

Dossier «La planète plastique»:

 

Omniprésent de la calotte polaire aux abysses des océans, le plastique est devenu un fléau planétaire. Plus qu’un désastre environnemental, il a même intégré la chaîne alimentaire, du zooplancton aux plus grands mammifères. Après l’âge de pierre et l’âge du fer, voici venu l’âge du plastique.

En moins de 60 ans, le plastique est devenu le matériau le plus omniprésent dans l’environnement et on commence tout juste à mesurer ses effets sur la santé humaine et animale.

Il est désormais partout. Dans l’eau, l’air, dans nos maisons, nos vêtements. Présent dans presque tous les objets du quotidien, il enveloppe la plupart des aliments. Il a même migré dans nos assiettes et l’eau potable. Au point où certains scientifiques comparent désormais la menace posée par l’invasion du plastique à la survie des espèces vivantes y compris l’homme, à celle du réchauffement climatique.

En moins de 60 ans, le plastique est devenu le matériau le plus omniprésent dans l’environnement et on commence tout juste à mesurer ses effets sur la santé humaine et animale. Or, l’engouement pour ce matériau passe-partout et « indestructible » a multiplié par 20 la quantité de plastique produit en quelques décennies. Si cette croissance se poursuit, l’industrie plastique, dopée notamment par la demande venant des pays émergents, est appelée à doubler d’ici 20 ans et à quadrupler d’ici 2050.

Si rien n’est fait, c’est plus de 12 milliards de tonnes de déchets de plastique qui pourraient souiller la planète au milieu de ce siècle, prédit Roland Geyer, chercheur et ingénieur de l’Université de Californie, auteur principal de la plus vaste étude menée sur l’emprise du plastique sur la planète, publiée en 2017 dans la prestigieuse revue Science.

« Le plastique est devenu le matériau de fabrication le plus “produit” par l’homme, hormis ceux utilisés depuis des siècles dans la construction comme le béton ou l’acier », affirme le chercheur, joint en Californie par Le Devoir. Réalisé à partir de données confidentielles obtenues des producteurs de plastique mondiaux, ce portrait mondial est le plus fiable tracé à ce jour… et le plus consternant.

Somme toute, plus de huit milliards de tonnes de plastique et de sous-produits du plastique ont été générées depuis les années 1950, assez pour recouvrir la superficie de l’Argentine. 

Consommé et jeté

Or, de cette mer de polymères, contenant plastifiants et additifs souvent toxiques, à peine 9 % en moyenne ont été recyclés à l’échelle de la planète, alors que 12 % ont été incinérés, a calculé le professeur Geyer. Seule une poignée de pays européens sont arrivés à recycler tout au plus le tiers du plastique.

Le reste, soit 79 % de cette masse non biodégradable, repose dans les dépotoirs ou s’est échappé dans l’environnement, dans les lacs, rivières et océans, et va notamment grossir les fameux « continents de plastique » devenus la partie la plus visible de cette plaie planétaire. Un bilan d’autant plus alarmant que 42 % de ces plastiques balancés dans la nature n’ont servi qu’à l’emballage ou à un usage unique. Pour Geyer, le recyclage demeure un mirage réconfortant dans plusieurs pays du monde, y compris le Québec, où 18 % du plastique utilisé atterrit dans le bac de recyclage. On ignore quelle part est réellement recyclée. « Ça ne peut être qu’une partie de la solution et plusieurs plastiques sont trop pauvres pour être recyclés. Il faudra beaucoup plus juguler ce problème mondial, notamment réduire de façon drastique la consommation, et incinérer le reste », insiste le chercheur.

Jusqu’à tout récemment, une grande part du gâchis global causé par le plastique demeurait invisible. « On ne voyait que les plastiques flottant dans l’océan ou qui jonchent les plages. Or, plusieurs autres coulent à pic ou se fragmentent en millions de particules dans l’environnement », affirme Roland Geyer.

C’est maintenant la face cachée de ce paria, soit les trillions de microparticules et de microfibres invisibles, issues de la dégradation des polymères dans l’eau et l’air qui suscitent de plus en plus d’inquiétudes. Plus qu’un déchet hideux, le plastique est devenu un cheval de Troie, capable de s’immiscer ni vu ni connu dans tous les écosystèmes et l’eau potable, charriant avec lui des plastifiants dangereux, comme les phtalates, et des additifs figurant sur la liste noire des perturbateurs endocriniens et des cancérigènes potentiels. Ces particules fines transforment les eaux douces et salées en « soupes chimiques ». 

Cheval de Troie

Les premières images de zooplanctons ingérant des nanoparticules de plastique ont confirmé que ce poison a infiltré les tout premiers maillons de la chaîne alimentaire, essentiels à la vie sur Terre. On estime maintenant que les humains consommant des mollusques peuvent ingérer jusqu’à 11 000 particules, mais l’on ignore complètement quels seront les effets de ce menu à saveur plastique sur l’être humain.

Cette incursion du plastique va bien au-delà des océans, comme le démontrait une étude récente révélant que l’eau embouteillée testée dans cinq continents affichait en moyenne 315 microparticules de plastique, certaines jusqu’à 10 000. « Nous vivons désormais dans un monde dominé par le plastique, à un point où nous aurions du mal à vivre autrement. Cela se produit, alors que l’industrie n’a toujours aucune obligation d’en tester les effets sur la santé. Ce fardeau retombe sur les épaules des gouvernements ou des universités, qui ont peu de fonds pour ce faire », déplore le chercheur Bernard Robaire de l’Université McGill, expert en toxicologie, qui étudie notamment les effets de certains plastifiants sur la fertilité humaine.

La filière fossile

À l’épicerie, casseaux en carton ou en bois ont presque disparu des étalages, au profit de boîtes plastifiées ou de barquettes colorées en polystyrène. Éclipsés aussi les bocaux en verre, de plus en plus boudés par l’industrie alimentaire et celle des cosmétiques. 

Pourquoi cet engouement soudain pour le plastique ? « En plus de son coût très bas, l’usage accru du plastique est alimentée par les industries fossiles qui ont trouvé de nouveaux marchés pour compenser la baisse de consommation du pétrole comme carburant », soutient le professeur Geyer. Jusqu’à 8 % de la production du pétrole dans le monde est désormais dédiée aux « pétroles solides » que sont les résines de plastiques.

Ironiquement, les efforts déployés pour juguler les émissions de gaz à effets de serre dans le secteur énergétique n’ont ainsi peu ou pas affecté l’hydre à plusieurs têtes que sont les indsutries fossiles. « Nous n’avons aucune idée de l’impact réel de ces matériaux, créés sans que quiconque ait pensé à ce qui allait advenir de ces produits non biodégradables, insiste le chercheur. En fait, nous assistons actuellement à une expérience menée à l’échelle mondiale. À du jamais vu. »


Un colocataire suspect dans notre quotidien

 

Faut-il se méfier de la capsule en plastique du café matinal, de la bouteille d’eau portée à la bouche, des aliments scellés dans du film plastique ou des barquettes pour viandes et légumes qui se multiplient dans nos frigos ? Une réponse simple : probablement.

Plus de 175 composants chimiques utilisés dans l’emballage alimentaire ont déjà été définis comme des cancérigènes ou mutagènes potentiels par l’industrie elle-même (Food…

 

Mais en fait, la science n’apporte toujours pas de réponses bétonnées à ces questions, bien que les preuves accablantes s’accumulent en défaveur de plusieurs plastiques, surtout composés de certains plastifiants et additifs présents dans les emballages alimentaires.

Vous craignez d’ingérer du plastique ? Vous le faites déjà. Les composés louches de certains plastiques, notamment le bisphénol A (BPA) — jugé « reprotoxique » depuis 2017 par le Canada — circulent dans le sang ou les urines de 91 % des Canadiens de 6 à 79 ans.

Nous sommes tous déjà un peu « plastifiés », porteurs de quantités détectables de résidus du plastique, présents dans les aliments, le sel de table, l’eau et l’air. La question n’est plus de savoir si on ingère ce matériau, mais à quelles doses et comment ces indésirables peuvent nuire à notre santé.

Les principaux suspects

Plus de 175 composants chimiques utilisés dans l’emballage alimentaire ont déjà été définis comme des cancérigènes ou mutagènes potentiels par l’industrie elle-même (Food Packaging Forum). Mais comment savoir si ces mauvais joueurs se retrouvent dans notre panier d’épicerie ou les rayons de la salle de bain ? Pas simple.

Car, contrairement aux aliments, aucun règlement n’oblige les fabricants de plastiques à afficher les produits contenus dans leurs emballages. Une réalité qui n’a aucun sens, déplore Bernard Robaire, expert en toxicité et en reproduction à l’Université McGill. À défaut d’interdire certains produits prouvés néfastes sur les animaux, le gouvernement devrait obliger l’étiquetage des composants plastiques sur les emballages, dit-il.

Pour l’instant, seul le numéro figurant sur les contenants plastiques aux fins de recyclage permet de démêler le bon grain de l’ivraie, ainsi que quelques indices, affirme Louise Hénault-Éthier, chef des projets scientifiques à la Fondation David Suzuki.

« Les plastiques les plus à risque de relâcher des contaminants sont le PVC (no 3), le polyéthylène des bouteilles d’eau (no 1) ou de jus et le polystyrène (no 6) des gobelets de café ou des contenants d’alimentation rapide, souvent appelé « styromousse »», affirme-t-elle.

Cocktails explosifs

Première règle, plastiques, chaleur et aliments ne font pas bon ménage. En général, « chauffer du plastique au micro-ondes, c’est maximiser les risques de transferts des sous-produits du plastique vers les aliments », insiste Sébastien Sauvé, professeur de chimie environnementale à l’Université de Montréal. Le polystyrène « fond » littéralement à une chaleur élevée.

Des millions de personnes amorcent leur journée par un café « à emporter », infusé dans une cafetière plastique, siroté dans un gobelet en polystyrène. Une habitude qui multiplie les risques d’obtenir un bouillon assaisonné au styrène, un cancérigène avéré chez l’homme, affirme Mme Héneault.

Malgré leur air inoffensif, les gobelets à café en carton, enduits de polyéthylène, peuvent aussi émettre des contaminants en présence de liquide chaud. « Plusieurs plastiques se dégradent aussi au contact des graisses et des acides. Ils sont pourtant largement utilisés dans l’industrie du fast-food dont les aliments contiennent beaucoup de gras », renchérit la scientifique.

Souplesse et brillance

Plus que les polymères de base, ce sont souvent les plastifiants et additifs ajoutés aux plastiques, comme les phtalates ou la famille des BPA, deux trouble-fête avérés des systèmes endocriniens, qui sont montrés du doigt.

Utilisés notamment pour assouplir les films, sachets et emballages alimentaires, les phtalates sont partout. Leur triste réputation semble inversement proportionnelle à leur présence dans les petits et grands plats. Choyés pour leur brillance, ils abondent aussi dans les produits cosmétiques, notamment les shampoings, lotions, vernis à ongles, rouges à lèvres. Pourquoi sont-ils toujours autorisés ?

« Ces produits sont tellement utiles qu’on les emploie maintenant partout dans les emballages alimentaires, les plastiques médicaux et même les gélules de certains médicaments ! » explique Youssef Olhote, ingénieur de recherche à la T.H. Public School of Public Health de l’Université Harvard.

« Or, les études faites sur les animaux montrent qu’ils peuvent nuire au développement des systèmes thyroïdien et nerveux. Pour établir un lien clair de cause à effet chez les humains exposés à ces produits, il faut plusieurs d’années d’observation », dit ce chercheur qui suit à la loupe depuis 10 ans le développement de plus de 2000 enfants exposés à ces plastifiants.

Même le célèbre BPA, banni au Canada depuis 2008 dans les biberons et gobelets de plastique pour enfants, et dans tous les produits alimentaires en France, continue d’être ajouté à une foule d’emballages et contenants, insiste l’expert de Harvard. Sauf exception, il tapisse l’intérieur de toutes les boîtes de conserve et des cannettes de jus et de boissons.

Aucune pièce de la maison n’est épargnée par l’invasion du plastique. Les vêtements faits de fibres synthétiques, dont le polyester (no 1), contribuent au problème de la contamination des eaux puisqu’un seul vêtement relâche jusqu’à 1900 microfibres de plastique par lavage.

Quant aux matelas, coussins et produits électroniques, la majorité renferme des plastiques hautement inflammables, additionnés de retardateurs de flammes. Présents jusque dans certains pyjamas pour enfants, ces additifs viennent grossir le clan des perturbateurs endocriniens. « Ils peuvent représenter de 30 à 40 % du poids d’une télé, ce n’est pas négligeable », affirme le professeur Robaire.

Eaux troubles

Les microparticules de plastiques, retrouvées dans l’eau potable des systèmes d’aqueduc de tous les continents, ne peuvent être éliminées par les systèmes de filtration actuels. « On sait que ces nanoparticules peuvent traverser la paroi intestinale, affirme Sébastien Sauvé. Ce qu’on ne sait pas, c’est si le corps parvient ou pas à les éliminer. On nage encore dans l’inconnu. »

Devant le casse-tête posé par l’ubiquité des plastiques, tous les scientifiques interrogés s’entendent sur une chose : limiter le contact et la durée de l’exposition, surtout avec les aliments.

« Il faut changer les façons de faire, apporter son contenant pour les lunchs, sa tasse pour le café, sa bouteille en inox pour l’eau, affirme Louise Héneault-Éthier. Donner des assiettes et gobelets de plastique à des enfants pour manger des aliments ou du lait chaud, c’est prendre un risque bien pire à long terme que celui de se blesser en cassant une assiette. »

Souvenez-vous qu’il n’y a pas de Panète Terre B!

 

 

Une longue quête

Aujourd’hui, leur organisme gère un entrepôt aux États-Unis offrant 400 produits différents, exempts de plastique. Plus de 90 % de leurs ventes se font au sud de la frontière ou à l’international. « Notre nom est en anglais, car à l’époque, il n’y avait aucun intérêt pour cela au Québec », dit-elle.

Au fil des ans, cette quête a mené Chantal sur la piste de rares fabricants en Chine, en Corée, en Inde, en Allemagne, en Suède, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et une foule d’autres pays.

En 2006, ils furent parmi les premiers à commercialiser les bouteilles d’eau en inox, quand les dangers du BPA présent dans certaines bouteilles de plastique commençaient tout juste à être connus.

Puis l’organisme s’est évertué à trouver plats, bols, gobelets, pailles, contenants hermétiques en verre ou en acier inoxydable, autant d’objets disparus des cuisines avec l’invasion du plastique. « Nous avons même fait fabriquer en Asie des moules à cubes de glace en inox et au Québec, des boîtes à lunch lavables, isolées en laine », explique-t-elle. Leurs recherches se sont vite étendues aux objets de la salle de bain : un univers de plastique. « Nous avons trouvé l’unique fabricant de brosses à dents en bois et poils naturels en Allemagne. Aussi, des rasoirs de métal aux lames recyclables, du fil dentaire en soie naturelle, des brosses et balais en bois et fibres naturelles. Plus on avançait, plus on se rendait compte qu’il est extrêmement difficile d’éviter le plastique », reconnaît la cofondatrice de LWP.

Aujourd’hui, plus de vêtements, de rideaux ou de matelas en fibres plastiques, susceptibles de contenir des retardateurs de flammes, chez Chantal Plamondon. « On passe le tiers de notre vie à dormir, donc mieux savoir sur quoi on dort », dit-elle. L’aventure de LWF a même donné lieu à la publication d’un livre aux États-Unis, écrit sur un ordinateur…en plastique. « Vivre sans plastique est impossible, admet l’auteure. Mais si on veut avoir le plus d’impact possible sur l’avenir de la planète, on doit diriger tous nos efforts sur tous les produits à usage unique. »

Une tendance qui monte

Aujourd’hui, plusieurs de ces produits alternatifs peuvent être trouvés dans les grandes surfaces. « Tant mieux, pense Chantal Plamondon. Malheureusement, certains de nos articles en inox venus d’Asie ne sont plus fabriqués. Là-bas, c’est le contraire. Ils se tournent de plus en plus vers le plastique et c’est inquiétant. »

Heureusement, après l’interdiction des sacs plastique, plusieurs États, notamment le Royaume-Uni, Taïwan et le Guatelama s’apprêtent à proscrire les pailles, cotons-tiges, gobelets et ustensiles en plastique à usage unique. Le premier ministre Trudeau, lui, a décidé de faire la sourde oreille à l’appel en ce sens lancé cette semaine par la première ministre britannique Theresa May.