“Le “business model” de ce milliardaire américain est de traquer les Etats et entreprises en difficultés financières, racheter leurs titres de #dette à prix cassé et d’en réclamer le double ou le triple en justice.”
Le fonds vautour de ce septuagénaire a refusé de trouver un accord à l’amiable avec l’Etat argentin qui se retrouve à nouveau en défaut de paiement sur sa dette. Portrait.

L’Argentine est, depuis jeudi 31 juillet, en défaut de paiement sur sa dette. En cause: l’absence d’accord entre des fonds spéculatifs américains et les autorités de Buenos Aires. Cet épisode marque la dernière étape d’une bataille judiciaire qui dure depuis plus de dix ans.
Pour rappel, les fonds “vautours” NML Capital et Aurelius Management réclament au pays de Cristina Kirchner 1,3 milliard de dollars, après avoir racheté, pour une bouchée de pain, ses dettes, après la faillite du pays en 2001. Contrairement à 93% des autres créanciers de l’Argentine qui ont accepté de perdre de l’argent en trouvant un terrain d’entente avec Buenos Aires, ces deux fonds veulent, eux, récupérer la totalité de leur mise initiale, avec plus-value. L’affaire s’est donc retrouvée devant les tribunaux américains… qui ont donné raison aux fonds. Seulement l’Argentine crie à l’injustice et refuse en conséquence de payer NML Capital et Aurelius Management.
Une mise multipliée par 17
Derrière le premier fonds récalcitrant à tout accord amiable, règne Paul Singer. Ce psychologue de formation est le patron du fonds d’investissement Elliott Management, maison-mère de NML. Le “business model” de ce milliardaire américain est de traquer les Etats et entreprises en difficultés financières, racheter leurs titres de dette à prix cassé et d’en réclamer le double ou le triple en justice.
Cette technique avait rapporté gros, dans les années 90, dans un Pérou en proie à des problèmes financiers. L’entreprise du New-Yorkais qui fêtera ses 70 ans le 22 août prochain avait récupéré 58 millions de dollars en justice, soit 38 millions de bonus par rapport à sa mise initiale. Et ce, après avoir refusé de participer à un programme de restructuration mis en place par Lima. A son tableau de chasse, figurent également les cas de la Zambie ou de la République démocratique du Congo.
Cette fois, ce milliardaire, grand donateur du Parti républicain et ex-soutien du candidat à la maison Blanche Mitt Romney, vise 832 millions de dollars alors qu’il avait acheté les titres 48 millions il y a six ans. Il multiplierait ainsi par 17 sa mise de départ!
Une arme: la justice
Fils de pharmacien, Paul Singer a grandi dans le New Jersey fait son droit à Harvard et débute sa carrière en tant qu’avocat à Wall Street. Puis il se lance dans la finance dans les années 70, après avoir réuni un peu plus d’un million de dollars auprès d’amis et de membres de sa famille.
En 1977, il crée le hedge fund Elliott Associates LP. Ce n’est que dix ans plus tard qu’il se tourne vers la dette décotée et qu’il va se servir de la justice pour parvenir à ses fins. Bingo pour l’as des marchés dont le fonds gère aujourd’hui près de 24 milliards de dollars et dont le patrimoine est estimé par Forbes à 1,5 milliard de dollars.
Contrairement au discret fondateur d’Aurelius, Mark Brodsky, Paul Singer n’hésite pas à livrer ouvertement le fond de sa pensée. Comme à Davos, en janvier dernier, où il avait fustigé la politique menée par l’Argentine qui était alors secouée, à l’instar d’autres pays émergents, par une forte volatilité financière.
Il intervient également sur des sujets de société, notamment en défendant les droits des homosexuels lors des dernières élections présidentielles américaines. Une position pour le moins surprenante de la part d’un des principaux soutiens du parti républicain.
Le peuple argentin se révolte contre les fonds vautours

L’insoumise Argentine maintient depuis la crise de 2001 une posture de défiance vis-à-vis des fonds “vautours”, une stratégie politique qui crispe les milieux économiques tout en rassemblant une classe politique profondément divisée.
Ces dernières semaines, la présidente de centre-gauche Cristina Kirchner a érigé en cause nationale le litige qui peut conduire mercredi son pays au défaut de paiement, à un peu plus d’un an d’une élection présidentielle qui marquera la fin de l’ère Kirchner (2003-2015).
“La patrie ou les vautours” clament des affiches de mouvements pro-Kirchner dans les rues de Buenos Aires, utilisant une formule rappelant le slogan de la révolution cubaine “La patrie ou la mort”.
“Le gouvernement présente le contentieux comme un face-à-face entre la nation et les fonds vautours, ce qui met l’opposition en difficulté, car se mettre du côté des vautours n’est pas une option. C’est une tactique très efficace”, considère le sociologue Ricardo Rouvier.
Aucun des prétendants à la présidentielle d’octobre 2015 ne se risque sur le terrain glissant de la dette.
Sauf la députée centriste Elisa Carrio. “Beaucoup aiment cette formule de patrie et de vautours, sans savoir qu’ensuite ils peuvent se retrouver sans travail”, dit-elle. “C’est un mauvais tour politique (…) Les dictateurs ou personnes autoritaires tentent toujours des coups nationalistes, héroïques, quand ils se sentent perdus”.
La présidente argentine oppose “les créanciers de bonne foi”, ceux qui ont accepté d’alléger la dette, et les fonds “vautours” accusés de tentatives “d’extorsion”. Elle appelle à “une régulation du système financier, juste et équitable” face au “pillage financier international”.
La justice américaine a condamné en juin l’Argentine à verser 100% des sommes initialement dues à une poignée de fonds “vautours”, soit 1,3 milliard de dollars, et tant que l’Argentine ne paiera pas, le juge Thomas Griesa bloquera les remboursements de la dette à 93% des créanciers, qui ne touchent eux qu’environ 30% de leur mise de départ.
L’Argentine a les moyens de payer cette somme mais dit redouter une avalanche de revendications si elle favorise certains créanciers.
L’Argentine paie ses dettes
Mme Kirchner écarte toutefois un “défaut de paiement” mercredi. “Je ne sais pas quel sera le terme, les agences de notation trouvent toujours un terme pour masquer ce qui se passe. Ici, l’Argentine a payé et quelqu’un empêche que le paiement parvienne aux détenteurs de bons”.
L’ex-ministre de l’Economie de Nestor Kirchner, Roberto Lavagna, critique sévèrement Mme Kirchner, mais l’approuve en partie sur le dossier des fonds “vautours”. “On cherche toujours la solution qui causera le moins de dégâts (…) Qui veut-on satisfaire en priorité? Le 1% de fonds procéduriers ou 93% des créanciers qu’on rembourse depuis 10 ans?”, interroge celui qui a présidé à la première restructuration de la dette de 2005.
La question des fonds “vautours” figure comme une tache dans le long processus de désendettement postérieur à la crise de 2001.
Grâce à la renégociation de la dette de 2005 et 2010 et aux exportations agricoles portées par la flambée des prix des matières premières, l’Argentine a remis de l’ordre dans ses comptes. Alors qu’elle croulait sous la dette au début des années 2000, elle est aujourd’hui un Etat peu endetté, avec un passif de 40% du PIB, contre 166% quand la crise économique a éclaté.
Avant le jugement favorable aux fonds “vautours”, l’Argentine avait le vent en poupe: accord avec le Club de Paris, sur l’indemnisation de Repsol pour la nationalisation de la compagnie pétrolière YPF, mesures pro-marchés comme la dévaluation de janvier 2014.
Sur la scène internationale, l’Argentine a reçu le soutien de ses alliés traditionnels latino-américains, de la Chine, de la Russie, du G77, de la France. Le FMI s’est même inquiété des conséquences du jugement pour l’avenir des restructurations de dette.
“Un défaut de paiement pourrait définitivement plomber le bilan de Cristina Kirchner, et pourrait réduire à néant les chances de tout candidat qu’elle soutiendrait” en 2015, estime Carlos Caicedo, expert de l’institut économique américain IHS.
Pour le politologue Rosendo Fraga, le gouvernement niera toute responsabilité dans un éventuel défaut de paiement et “désignera la justice américaine et les vautours comme responsables” des conséquences sur l’économie du pays.
Mais, avertit Roberto Lavagna, “il peut y avoir une solution de dernière minute”.
Sources:AFP