La conspiration nucléaire d’Hiroshima à Fukushima…le gouvernement japonais connaissait les risques

*Je remercie mon correspondant au Japon pour les nombreuses informations envoyées..

Le champigon atomique de Nagasaki.Dans l'atomisation du Japon,les américains font  figure de juges,assassins et exécuteurs.
Le champigon atomique de Nagasaki.Dans l’atomisation du Japon,les américains font figure de juges,assassins et exécuteurs.

Après le désastre causé par un tremblement de terre suivi d’un raz-de-marée au Japon le 11 mars 2011, la fusion du réacteur nucléaire de Fukushima continue à inquiéter les gens dans le monde entier. Le monde a vu pratiquement en direct les explosions successives d’un bâtiment de réacteur après l’autre et l’un des pays les plus évolués techniquement tenter de contrer les 770 000 terabecquerels [1] de radioactivité relâchés par la fusion avec des sceaux et des tuyaux d’arrosage. Le Japon a tenté sans y parvenir de convaincre le monde que tout était sous contrôle.

Ayant vu les reportages sur le Japon, beaucoup de gens se demandent pourquoi les gouvernements successifs ont choisi de miser sur l’énergie nucléaire dans un pays aussi propice aux tremblements de terre – après les États-Unis et la France, le Japon est le troisième pays le plus nucléarisé du monde – et pourquoi le peuple de ce pays semblait si indifférent aux dangers de l’énergie nucléaire.

Ce sont les questions auxquelles nous allons tenter de répondre.

Le changement d’orientation d’Eisenhower

La propagation de la technologie nucléaire au Japon a été une conséquence directe des tentatives militaires américaines de gagner de l’influence sur le développement de ce pays immédiatement après la Seconde Guerre mondiale. Peu après la fin de la guerre, les États-Unis ont commencé à transformer le Japon en un rempart face à l’Union soviétique. Cette politique a été intensifiée après la prise de pouvoir par les régimes staliniens en Chine et en Corée du Nord. Ayant perdu le monopole des armes nucléaires, les États-Unis ont dû rendre le Japon réceptif à l’énergie nucléaire.

Le 20 avril 2011, le journal japonais Mainichi Shimbu a écrit : « au cours de la huitième assemblée générale des Nations unies de décembre 1954, l’ex-président Eisenhower a donné un discours intitulé « Atomes pour la paix. » Sa stratégie a été d’assigner des technologies importantes à d’autres pays pour les intégrer dans le bloc américain, assurant ainsi son hégémonie dans la guerre froide contre l’Union soviétique. Que le Japon, le seul pays à avoir souffert de toute la puissance d’armes nucléaires, accepte d’accueillir la technologie nucléaire était d’une énorme importance stratégique. »

L’agent de la CIA « Podam »

Ce même article de journal cite Tetsuo Arima, chercheur en sciences de la communication et professeur de sciences sociales à l’université de Waseda, au sujet du politicien pro-nucléaire japonais Matsutaro Shoriki, qui est aussi un grand patron du secteur médiatique : « Après la guerre mondiale, la CIA a travaillé en étroite collaboration avec M. Shoriki pour faire progresser la campagne en faveur de l’introduction de l’énergie nucléaire au Japon. Elle l’a fait parce que cet homme disposait non seulement des relations nécessaires dans la politique et l’économie, mais également du pouvoir de mobiliser son empire de presse et de télévision. »
Durant des années de recherches aux Archives nationales des États-Unis, Arima a découvert 474 pages de dossiers de la CIA, documentant en détail les progrès de l’introduction de la technologie nucléaire au Japon. Il en cite le passage suivant : « Les relations avec Podam ont maintenant atteint le point où une coopération complète peut être initiée. »

Matsutaro Shoriki...travaillait pour la CIA.
Matsutaro Shoriki…travaillait pour la CIA.

« Podam » était le nom de code d’un membre du Parlement et informateur de la CIA, Matsutaro Shoriki, qui allait devenir plus tard président de l’Autorité de l’énergie atomique qu’il avait fondé lui-même, et aussi ministre des sciences et de la technologie. Shoriki est aujourd’hui considéré comme le père de l’énergie nucléaire japonaise.

Le Goebbels japonais

La carrière de Shoriki aurait été impensable sans ses relations étroites avec la CIA et le Pentagone. En tant que chef de la police politique durant la guerre, il était directement responsable de la chasse et de l’écrasement des syndicats, des communistes, socialistes et tous opposants à la guerre. Plus tard, il est devenu membre de la chambre haute du Parlement [Sénat] et chef du service de renseignement du ministère de l’intérieur, qui était en charge de la guerre idéologique et de la propagande. Il avait acheté le journal Yomiuri Shimbun dès 1924. Ce journal allait devenir le principal porte-parole des va-t-en-guerre et de la dictature militaire dans les années 1930 et 1940. C’est aujourd’hui le journal le plus lu au Japon, avec près de dix millions de lecteurs. On peut dire que Shoriki était le Joseph Goebbels du Japon.

Après la Guerre, il a été emprisonné en tant que criminel de guerre majeur durant trois ans. Cependant, son cas n’a jamais été poursuivi. En fait il a été relâché sans procès. La CIA et le ministère de la défense américain avaient besoin de ses talents et de son influence pour appliquer la politique d’Eisenhower au Japon. Des fichiers secrets du gouvernement américain montrent que la CIA et le Pentagone ont fourni des fonds, des dizaines de millions de dollars, pour la construction de l’empire médiatique de Shoriki – il était également le fondateur de la première chaîne de télévision privée au Japon, Japan TV, ainsi que de la fédération professionnelle de Baseball japonaise. [2]

Shoriki que l'on voit à gauche de cette photo de 1934,aurait même pu  s'entretenir avec l'illustre Babe Ruth.
Shoriki que l’on voit à gauche de cette photo de 1934,aurait même pu s’entretenir avec l’illustre Babe Ruth.

À cette époque, le peuple japonais était toujours traumatisé par la destruction de Hiroshima et Nagasaki, et réagissait avec horreur à toute mention de l’énergie atomique, que ce soit pour un usage pacifique ou comme arme. En mars 1954, un autre événement a secoué le public japonais. Un chalutier japonais a été tellement contaminé par les radiations au cours d’un test d’une bombe à hydrogène sur l’atoll de Bikini qu’un membre d’équipage est mort et beaucoup d’autres ont été sérieusement blessés, alors que le bateau était dans une zone déclarée sans dangers par les autorités américaines. Le sentiment anti-nucléaire s’est alors développé en un large mouvement populaire contre les États-Unis. Pour pouvoir appliquer la politique d’Eisenhower au Japon, la CIA avait besoin de ce criminel de guerre, Shoriki, pour créer un climat favorable à l’énergie nucléaire et distraire l’attention de la population des questions politiques en général. [3]

La remilitarisation du Japon

Cela correspondait aux intérêts de Shoriki, bien qu’il ait des intentions quelque peu différentes de celles de la CIA. Le 20 avril 1952, son journal, le Yomiuri Shimbu publiait un article intitulé : « Le gouvernement commande un plan concret pour l’établissement d’un ministère des sciences et de la technologie en préparation du réarmement et de la production d’armes. » L’article se poursuivait en citant Kantaro Suzuki, le dernier amiral de la flotte impériale et Premier ministre lors de la capitulation du Japon : « Nous avons perdu cette guerre à cause de notre manque de science. Par conséquent, il est de notre devoir de promouvoir la science afin de reconstruire le Japon. » Pour Suzuki, cependant, « reconstruire le Japon » signifiait restaurer l’empire japonais.

Shoriki, ardent nationaliste, était réticent à n’être qu’un pion de la CIA pour sa propagande. Au contraire, il voulait utiliser la CIA et le pentagone pour ses propres fins. Son plan était d’exploiter ses relations avec eux pour devenir chef du gouvernement, et refaire du japon une superpuissance militaire.
Le ministère de la science et de la technologie – prédécesseur du ministère de l’éducation et de la science – a été créé par Shoriki lui-même. Avec pour slogan de campagne, « une nouvelle révolution industrielle grâce à l’énergie nucléaire, » il est devenu député, puis président de sa propre création, l’Autorité de l’énergie atomique, qui est devenue par la suite le ministère des sciences et de la technologie. Masao Maeda, l’un des collègues de Shoriki au Parti libéral démocrate (PLD), a rédigé le projet de loi de création de ce ministère. Il définissait la tâche d’un des services de ce ministère, l’Institut central pour la science et la technologie dans ces termes : « la recherche sur les technologies d’armement, y compris les armes nucléaires. » [4]

Karl Mundt, un sénateur républicain de droite qui avait rédigé la loi créant la Voice of America (VOA, la radio de propagande anti-communiste pour les forces armées américaines en Asie), avait envoyé un de ses assistants, Henry Holthusen, au Japon rencontrer Shoriki pour y monter une version télévisée de VOA. Il y coopérait avec la compagnie Unitel pour diriger une station de télévision pour l’armée américaine qui diffusait dans tout l’Extrême-Orient. [5]

Shoriki collaborait avec Holthusen. Il usa de ses relations avec le Pentagone – par l’intermédiaire du cabinet d’avocats Murphy, Duiker, Smith et Burwell à Washington – pour passer un accord avec le ministère de la défense américain concernant l’argent dont il aurait besoin pour monter la station de télévision. [6]

Shoriki et Nakasone,les pères de l'énergie nucléaire au Japon. Deux grands amis de la CIA.
Shoriki et Nakasone,les pères de l’énergie nucléaire au Japon.
Deux grands amis de la CIA.

Nakasone, le bras droit de Shoriki

Il devenait de plus en plus difficile à la CIA et au Pentagone de contrôler Shoriki. Les États-Unis n’avaient aucune intention d’équiper leur ex-ennemi de la seconde Guerre mondiale en technologies d’armes nucléaires. La politique d’Eisenhower était plutôt de rendre la société japonaise bienveillante envers l’énergie nucléaire pour que, d’une part, les armes atomiques américaines puissent être stockées partout où on en avaient besoin, et en second lieu qu’un grand marché s’ouvre au Japon pour l’industrie nucléaire civile américaine.

C’est la raison pour laquelle le savoir-faire technologique nucléaire n’a été communiqué que sous la stricte supervision du gouvernement américain et seulement sur le sol américain. Ainsi, la plupart des ingénieurs nucléaires de la Compagnie d’électricité de Tokyo ont été « formés » dans une école établie en Illinois, l’International School of Nuclear Engineering, qui était gérée par la Commission de l’énergie atomique. Cependant, le savoir-faire transmit était insuffisant pour développer des réacteurs au Japon, et ne permettait que de faire fonctionner les centrales clefs en main que les États-Unis leur vendaient. [7]

Mais Shoriki s’intéressait d’abord à la technologie militaire. Les premiers réacteurs qu’il a construits en tant que chef de l’Agence de l’énergie atomique au Japon étaient d’un autre type : les réacteurs Calder Hall anglais, développés au départ pour la production de plutonium militaire. L’utilisation de leur chaleur résiduelle pour la production d’électricité n’était qu’un sous-produit.

Les États-Unis ont été atterrés par la machination de Shoriki, et celui-ci a eu de plus en plus de mal d’obtenir un soutien de la part de la CIA ou du Pentagone. Son objectif de s’emparer du gouvernement au Japon ne pouvait plus se réaliser.

 

Voici la conclusion d’un article en deux parties sur les antécédents historiques sur le désastre nucléaire de Fukushima. La première partie a été publiée le 30 juin 2011.

Si Matsutaro Shoriki, ex-criminel de guerre, magnat des médias et chef de l’agence nucléaire japonaise, avait perdu le soutien des Américains, et perdu tout espoir de prendre le contrôle du gouvernement japonais, son élève et bras droit, Yushiro Nakasone, est parvenu à donner une suite à ses plans.

Nakasone a succédé à Shoriki au poste de chef du ministère des sciences et techniques, puis il fut ministre de la défense et finalement Premier ministre de 1982 à 1987. Nakasone écrivit ses mémoires en 1996, dans lesquelles il dit : « J’ai travaillé comme assistant de M. Matsutaro Shoriki, qui avait été président du département des sciences et technologies. J’ai écrit toute la législation sur l’énergie nucléaire, par exemple, la loi de création de l’Autorité de l’énergie nucléaire, la loi pour le développement des matières premières nucléaires, la loi de création de l’Institut de recherche nucléaire, celle de l’Institut du combustible nucléaire… » [8]

Quand il était un jeune officier de la marine, Nakasone avait vu le largage de la bombe atomique sur Hiroshima. Il écrit dans son autobiographie : « j’ai vu le champignon nucléaire depuis ma base d’opérations navales à Takamatsu. Intuitivement j’ai senti que le futur de l’ère nucléaire avait commencé. » [9] Ce n’étaient pas les 200.000 personnes tuées d’une manière aussi horrible, ni l’agonie ou la mort lente des victimes survivantes dues aux radiations qui l’intéressaient. Sa réaction n’a été que d’anticiper l’ère à venir où le Japon aurait la puissance nucléaire.

Yuko Fujita, professeur de physiques à l’université Keio, a décrit ainsi le rôle de Nakasone dans un article présenté lors d’une réunion annuelle de la Société japonaise de physique :

« En 1953, il a été approché par un certain Mr. Coulton, officier du contre-espionnage au Quartier général du Général Douglas McArthur, et invité à un séminaire à l’Université d’Harvard organisé par [Henry] Kissinger. Après ce séminaire, Nakasone a rencontré Hideo Yamamoto, homme d’affaires de l’entreprise Asahi Glass devenu étudiant à l’Université de Columbia, pour recevoir plus d’informations sur l’énergie nucléaire. Yamamoto lui a dit qu’il : « était intéressé en particulier par les armes nucléaires. Puisqu’il était partisan du réarmement japonais, je suppose qu’il voyait les armes nucléaires comme un impératif pour le Japon. »

La propagande américaine  se fit entendre ,sur le plan international par le slogan de "Atoms for Peace".
La propagande américaine se fit entendre ,sur le plan international par le slogan de « Atoms for Peace ».

Le début du programme nucléaire

Dès son retour, Nakasone a commencé à préparer un budget spécifique pour la recherche nucléaire, un budget supplémentaire. Après avoir mené une rapide procédure de négociations parlementaires durant trois jours, il est parvenu à faire passer le projet de loi, finalement adopté par les deux chambres du Parlement le 4 mars 1954. Ainsi, le premier programme nucléaire du Japon a été créé avec un budget de 235 millions de yens. (Cette somme particulière était l’idée de Nakasone lui-même, il a dit plus tard que le nombre de millions était inspiré de l’élément Uranium 235).

Cette rapidité était nécessaire en raison du récent incident du chalutier japonais au cours du test de la bombe à hydrogène dans l’atoll de Bikini en mars 1954, le navire allait rentrer au Japon 14 jours après. Cet accident allait obséder le public japonais des années durant.

Nakasone est devenu chef du ministère des sciences et de la technologie dans le gouvernement Kishi à la fin des années 1950. Comme Shoriki, Shinsuke Kishi avait été emprisonné pour son rôle durant la guerre, mais il avait été libéré par la CIA puis était devenu Premier ministre. Sous Kishi, Nakasone est devenu le maître d’oeuvre du programme nucléaire japonais.

Dans son autobiographie, Kishi écrit sur l’importance du programme nucléaire : « la technologie nucléaire peut être utilisée à des fins pacifiques ou militaires. […] le Japon n’a peut-être pas d’armes nucléaires, mais il peut augmenter son influence dans l’arène internationale en augmentant sa capacité potentielle à en avoir. »

Nakasone était président de l’Autorité de l’énergie atomique quand il a publié le premier « Programme pour le développement long terme et l’utilisation de l’énergie nucléaire » en 1961. C’est ce programme qui a lancé la création des centrales nucléaires telles que celle de Fukushima. Leurs réacteurs étaient fournis par la compagnie américaine General Electric, c’était des installations clefs en main conformes aux plans originaux de la CIA. Les contrats de construction de la plupart des centrales japonaises sont allés à la même compagnie : le groupe Kajima, dont le chef faisait partie de la famille de Nakasone.

Durant la construction de la plupart des centrales nucléaires au début des années 1970, Nakasone occupa deux postes ministériels : ministre du commerce et de l’industrie et ministre des sciences et de la technologie. Il était par conséquent à même d’user de tout son pouvoir dans la politique énergétique et dans le programme nucléaire.

Le mouvement d’opposition à l’ANPO

Comme nous l’avons déjà mentionné, l’introduction de l’énergie nucléaire a été très généralement mal reçue dans la population japonaise.Les expériences de Hiroshima et Nagasaki à la fin de la deuxième Guerre mondiale l’expliquant en grande partie. Durant les années 1950 et 1960, le mouvement anti-nucléaire s’est développé en un mouvement de masse contre la présence militaire américaine, atteignant son apogée avec les légendaires luttes anti-ANPO (l’acronyme du Traité de défense mutuelle américano-japonais). Ce mouvement a organisé de véritables grèves générales contre la prolongation de l’accord de défense avec les États-Unis. L’Etat a réagi par des violences policières brutales.

En fin de compte, toutes ces manifestations et ces mouvements d’opposition – y compris les grandes manifestations étudiantes de 1968-69 – ont été battues, parce que l’Etat et le lobby nucléaire ont été en mesure de s’appuyer sur le Parti communiste japonais et la direction des syndicats pour tenir cette opposition sous leur contrôle, puis la trahir. Le Parti communiste japonais, qui n’avait rien à voir avec un programme authentiquement socialiste, avait au début soutenu ouvertement la politique nucléaire de l’Etat. Il jouissait d’une grande influence, en particulier dans les services publics, jouant par exemple le premier rôle dans le syndicat des enseignants.

L’Etat s’est alors orienté vers un alignement systématique de sa politique éducative sur le programme nucléaire. Ainsi, des chapitres sur l’énergie nucléaire ont été inclus dans les livres obligatoires de toutes les écoles, pour implanter fermement chez les élèves dès le plus jeune âge l’idée que l’énergie nucléaire était une forme d’énergie sûre pour l’avenir. Les livres d’école japonais étaient contrôlés par le ministère de l’éducation et des sciences, le même qui gérait le programme nucléaire.

Des mesures réglementaires et économiques diverses ont ensuite mené à rendre les pouvoirs publics locaux dépendants des centrales nucléaires.

L’importance militaire des projets d’énergie nucléaires

Les opérateurs de centrales nucléaires ont exercé une grande influence sur le gouvernement national durant des années. Cela a contribué au fait que les risques de l’énergie nucléaire pour la sécurité des populations soient largement ignorés. L’aspect militaire des politiques énergétiques nucléaires est encore plus important et toujours d’actualité. Pour le démontrer, quelques faits doivent encore être mentionnés.

Plus de 52 milliards de dollars ont déjà été investis dans la construction de deux usines de retraitement à Rokkashomura et Tokaimura, et du réacteur à surgénération de Monju. À elle seule, l’usine et les équipements annexes de Rokkashomura coûtera au total 100 milliards de dollars – une somme qui dépasse toutes les estimations de sa viabilité économique. Toutes ces installations sont situées dans des zones propices aux

tremblements de terre et aux tsunamis. Plus de 4000 tonnes de matières radioactives sont stockées dans ces usines, c’est-à-dire une quantité plusieurs fois suffisante pour rendre tout le pays inhabitable en cas d’accident de catégorie 7. Et il y a déjà eu des accidents sérieux dans les trois (entraînant des décès dans le cas de Tokaimura).

Ces trois installations seraient capables de produire des armes nucléaires et sont étroitement liées à l’entreprise Mitsubishi, le plus gros producteur d’armes au Japon, qui produit entre autres des missiles balistiques, des avions de combat, des missiles guidés, des navires de guerre etc. Mitsubishi a supervisé la conception et la construction de ces installations.

Le chef de la compagnie qui gère l’usine de retraitement de Tokaimura, l’Institut de recherche sur l’énergie atomique du Japon, est Kaneo Niwa, qui était auparavant PDG de la division Industries lourdes de Mitsubishi. Son prédécesseur, Taizo Shoda, était à l’initiative du projet de surgénérateur de Monju. Il venait également de la division industries lourdes de Mitsubishi, comme son successeur, Yotaro Lida, qui avait présidé le comité de direction à Rokkashomura et Tokaimura.

Minimiser la catastrophe de Fukushima est d’une importance cruciale pour ces gens, non seulement pour des raisons économiques (maintenir en fonctionnement les 54 autres centrales nucléaires) : mais aussi pour pouvoir appliquer les plans militaires de l’Etat pour l’avenir.

Au départ de l,explosion,on voit bien le champignon caractéristique.Les retombées seront énormes.
Au départ de l,explosion,on voit bien le champignon caractéristique.Les retombées seront énormes.

Fukushima était prévisible

Il y a vingt ans, la Commission américaine de régulation du nucléaire, avait prévenu dans son rapport sur la sécurité NUREG 1150 que les équipements auxiliaires de certains réacteurs (comme les générateurs de secours fonctionnant au diesel, les réservoirs de stockage d’eau, etc.), ne supporteraient pas les effets des tremblements de terre. Les réacteurs mentionnés incluaient le type Mark I, celui de Fukushima. Cette institution affirmait qu’il était très probable que les circuits de refroidissement auraient une défaillance en cas de tremblement de terre. L’autorité de la sécurité nucléaire japonaise et TEPCO (les opérateurs des réacteurs) – qui étaient responsables, entre autres, des réacteurs à Fukushima – ont ignoré ce rapport.

Hidekatsu Yoshii, physicien nucléaire et député, avait défié le président du Comité de sûreté nucléaire au cours d’un débat parlementaire en octobre 2006, disant : « Il y a un risque de fusion lié à une défaillance du système de refroidissement dans 43 centrales nucléaires (dont Fukushima 1), parce qu’ils sont conçus d’une manière qui garantit que les lignes électriques seraient endommagées par des tremblements de terre, causant une coupure de courant totale ; ou l’apport d’eau de refroidissement pourrait être entravé en cas de raz-de-marée important. »

En décembre de la même année, Yoshii a à nouveau insisté auprès du cabinet pour qu’il prenne des mesures pour protéger la population contre les tremblements de terre majeurs qui auraient des effets sur le fonctionnement des centrales nucléaires. Le Premier ministre de l’époque, Shinzo Abe (du Parti libéral démocrate), avait répondu négativement en affirmant qu’une défaillance des générateurs de secours au diesel ou une défaillance du système de refroidissement ne s’était jamais produite au Japon.

Yukinobu Okamura, géologue et directeur de l’Institut national pour la science industrielle de pointe et la technologie, avait examiné en 2004 l’étendue des traces d’un raz-de-marée qui avait frappé la région de Fukushima au neuvième siècle. D’après ses recherches, le raz-de-marée avait produit des vagues si hautes qu’elles avaient causé des dégâts jusqu’à 5 à 6 km à l’intérieur des terres. En 2009, il présenta ses conclusions à un comité parlementaire sur les risques sismiques pour les centrales nucléaires, insistant pour que TEPCO prenne les mesures de sécurité nécessaires en cas de raz-de-marée à Fukushima. Mais la réponse de TEPCO a été d’affirmer que les données disponibles n’étaient pas suffisantes pour justifier de telles précautions.

 

Notes

[1] 1 terabecquerel est égal à 10 à la puissance 12 becquerels

[2] Arima : Genpatsu, Shoriki, CIA (Les centrales nucléaires, Shoriki et la CIA), éditions Shinchosha, 2008.

[3] Voir : Crypto-convergence, Media, and de Cold War : The early Globalization of Television Networks in the 1950, Conférence Media in Transition, MIT, mai 2002 ; James Schwoch, Northwestern University, Center for International and Comparative Studies

[4] Rapport sur « les problèmes de l’énergie atomique du Japon », publié par l’Association des scientifiques démocratiques, département de physique, 1953, p. 21

[5] Jack K. MacFall-Holthusen, 4 avril 1952, TV Worldwide Network Japan, Holthusen Papers, Box 8 à la bibliothéque Herbert Hoover.

[6] Telecommunication Network System for Japan: Memoranda and Exhibits Prepared and Presented by Murphy, Duiker, Smith, & Burwell, Overseas Information Program Subcommittee, Section I, pp. 1-4, Hickenlooper Papers 86, Bibliothèque Herbert Hoover.

[7] Genpatsu e no Keisho (l’Énergie nucléaire bombe à retardement), Katsuo Uchihashi, Kodansha 1986, p. 69, ff.

[8] Yasuhiro Nakasone : 50 Years of Postwar Politics, publié par Bungei Shunju, 1996, p. 170

[9] Yasuhiro Nakasone : Politics and Life, éditions Kodansha, 1992, p. 75

[10] « Military Aspects of Japan’s Nuclear Policy », article présenté à la réunion annuelle de la Société de physique japonaise, 2004