Les dossiers de Michel Duchaine: Hécate, sorcière du XXIe siècle

 

La nouvelle ambassadrice de Lucifer reçoit ses « clients » dans le 16e arrondissement de Paris. Une sorcière qui fait plus de pub que de mal.

Photo d’Hécate

 

Elle n’a pas eu besoin de baguette magique pour attirer l’attention des médias fin septembre, un simple mail a suffi « Hécate devient la doyenne des sorcières de France. » De LCI à 20 Minutes en passant par Libération, les journalistes se sont jetés sur le sujet. Signe du destin ?  L’association d’idées fut immédiate : sorcière = jeteuse de sorts = pacte avec le Diable. N’est-ce pas le cliché ancré dans l’imaginaire populaire depuis que l’Inquisition a inventé le personnage maléfique de la sorcière cruelle et lubrique ? Mais au XXIe siècle, au regard du Code pénal, la sorcellerie n’existe pas. Alors, Hécate (c’est son nom officiel), une blague ? Nous sommes donc nous aussi allés la consulter.

 

« Une confidente qui accueille tout »

Dans le très chic 16e arrondissement de Paris, un paillasson élimé à motif de chat et de chien. Un homme très maigre s’efface pour nous laisser entrer : son assistant, et son époux, qui filtre les appels et dépouille les mails. Il nous introduit dans une petite pièce à la moquette et aux tapisseries fatiguées. Fenêtre vitrail qui tamise la lumière, crâne humain, statues hindoues, masques africains… et elle. Les yeux, lourdement surlignés, la chevelure, ébène. Noirs, le pull, la longue jupe, les escarpins et les collants brodés. Hécate, 65 ans, porte beau. On commence par la question la plus tarte à l’heure d’Harry Potter. « Hécate, une sorcière aujourd’hui, c’est quoi ? » – « Une confidente qui accueille tout. Qui apaise. » Mais la sorcellerie, alors ? « La sorcière essaie de faire dévier le cours d’un destin, ce qui n’est pas toujours gagné. Car qu’est-ce qui est écrit, qu’est-ce qui ne l’est pas ? ». Plus précisément ?

Hécate a pour patron Lucifer, « à ne pas confondre avec Satan »explique-t-elle. Au firmament, donc, Dieu et le bien, dans les bas-fonds le Diable, incarnation du mal, et au milieu, Lux Ferri, celui qui apporte la lumière, l’ange déchu par Dieu. « Il a payé pour avoir transmis un peu de la connaissance aux hommes ; il ne mérite pas sa mauvaise réputation. » Lucifer, un petit frère chrétien du Prométhée grec, victime comme lui d’un dieu jaloux de son pouvoir. Cette histoire tragique a détourné Hécate du catholicisme. « Crois et tais-toi. Cela m’a vite soûlée. » En recherche, la jeune fille côtoie plusieurs illuminés, certains dangereux (une estafilade liée à un rituel exotique en témoigne). Mais un jour elle rencontre Yul Rugga, fondateur de la Wicca occidental (de whitchcraft, sorcellerie en anglais), aujourd’hui décédé, maître en luciférisme, une « religion plutôt philosophique », selon elle, qui redonne du pouvoir à l’homme et ne laisse pas Dieu décider de tout.

Des demandes de plus en plus violentes

Hécate se forme pendant dix ans auprès du maître, le soir. La journée, elle étudie le droit. Elle sera pendant deux ans avocate pénaliste, avant de demander sa radiation du barreau. « J’avais suffisamment fait plaisir à mes parents », confie-t-elle. Sa catholique de mère comme son chef d’entreprise de père n’ont pu que s’incliner. Ne gagnait-elle pas bien sa vie grâce à la sorcellerie ? Et une sorcière, comme l’avocate, est au service du client, qui demande toujours la même chose « Faire revenir un être aimé ou aider au développement d’une entreprise », ce qui peut se traduire par l’envie de dégommer un concurrent. De plus en plus violents, d’ailleurs, les « consultants ». Quand il y a trente ans, elle comptait une demande d’assassinat par an, elle en reçoit aujourd’hui plusieurs ; quant aux demandes de vengeance, elles se multiplient.

Évidemment, elle filtre. Au cours d’un entretien préalable (80 euros), elle dissèque les motivations de ses clients, avec comme règle de ne jamais leur donner tort, de les rassurer en leur disant qu’elle va faire le maximum – un bon moyen de désamorcer la violence –, mais aussi ne jamais garantir la réussite: « Donner satisfaction tout en ne donnant pas trop. C’est commode de ne pas garantir les travaux à 100 %, même si ce n’est pas très glorieux. »

Paiements en liquide

Mais Hécate, pratiquez-vous la magie noire, celle qui tue ? Réponse de sorcière : « Notre vocation est d’aider, sans faire de mal à l’autre, mais s’il faut donner un coup de griffe, on le donne. La magie n’est ni blanche ni noire, elle est dans l’intentionnalité. » Concrètement, Hécate n’envoie pas ceux qui contrarient ses clients dans un fauteuil roulant, elle se contente de leur pourrir la vie en leur imposant une succession d’ennuis : panne de voiture, crédit refusé, maladie, etc. « J’assume seule le parti que je vais prendre. » Comme ses confrères, ainsi que l’analyse Dominique Camus, ethnologue, docteur ès sciences à l’EHESS, qui a longuement enquêté sur les sorciers hexagonaux : « Le sorcier fait et défait, il envoûte ou désenvoûte, il agit pour ce que communément on appelle le bien ou le mal. Mais c’est en fait une fausse vision des choses. Le sorcier agit toujours pour le bien de son client… qui est toujours la victime de quelqu’un. » Et de poursuivre : « Les sorciers assument par principe, puisqu’ils acceptent les demandes de leurs clients en prenant leur argent. »

L’argent, justement.Oui, Hécate reçoit des paiements en liquide, une préférence de clients qui veulent éviter toute trace sur leur relevé bancaire. Mais elle accepte les chèques, et déclare ses revenus en tant que parapsychologue, une profession classée libérale. Elle a même été contrôlée à deux reprises. Riche, la plus ancienne sorcière de France ? Elle n’est que locataire de son appartement. Elle facture ses travaux 3 000 euros en moyenne. Si le « consultant » n’a pas eu satisfaction, elle recommence les rituels une seconde fois gratuitement. Cher payée, la consultation ? « Je facture mon temps », explique-t-elle. Les rituels sont chronophages. Ils s’effectuent la nuit pendant trois lunaisons. Pour manipuler forces occultes et énergies, elle utilise comme support des statuettes en cire, des dagydes, auxquelles ont été incorporées des matières organiques, ongles ou cheveux de l’intéressé et qu’elle pique avec un clou.

La concurrence des pseudo-sorciers du net

Mais quel besoin l’a poussée à claironner urbi et orbi qu’elle était devenue la doyenne des sorcières de France, à la suite du décès de sa consœur luciférienne du Midi, Carmen, 82 ans ? « J’ai une notoriété à entretenir », déclare pudiquement Hécate, qui a déjà participé à plusieurs émissions sur le paranormal. C’est aussi à cause d’Internet, qui, selon elle, fait beaucoup de tort au métier. Sur la Toile, des charlatans ne proposent-ils pas d’envoyer contre 20 euros des rituels à faire soi-même ? Et, elle le reconnaît volontiers, il faut bien qu’elle renouvelle, voire étende sa clientèle, des femmes comme des hommes, et de tout milieu social.

Et l’avenir, Hécate ? Un cabinet de sorcellerie, cela se transmet-il ? La doyenne des sorcières n’a pas préparé sa succession. « Vous savez, cela demande du temps de former un nouvel adepte. » De fait, l’avenir du métier, elle n’y croit pas. « On comprendra un jour pourquoi les phénomènes dits surnaturels ne l’étaient pas grâce à la physique quantique. La sorcellerie disparaîtra alors d’elle-même, je ne vois pas cet art-là perdurer indéfiniment. » Lucifer a du souci à se faire.

Yul Rugga ,le nouveau gourou luciférien…décédé!