
En 2014, l’Okjökull a perdu ses lettres de glacier. La masse gelée était devenue trop mince pour couler du sommet du volcan endormi sur lequel elle reposait, à une centaine de kilomètres au nord-est de Reykjavik, en Islande. Cinq ans plus tard, alors qu’il ne reste du glacier que quelques monticules de sorbet, une délégation scientifique et politique a gravi le siège vide pour rendre un hommage au géant disparu.

Gravée dans le cuivre d’une plaque commémorative, une « lettre pour l’avenir » a été installée dimanche près du lit vide de l’Okjökull — littéralement le « glacier Ok », en islandais. « Ok est le premier glacier islandais à perdre son statut. Dans les 200 prochaines années, on s’attend à ce que tous nos glaciers subissent le même sort », peut-on y lire. On compte quelque 400 glaciers sur l’île subarctique. Ils couvrent 11 % de sa superficie.
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« On a marché jusqu’au sommet de la montagne afin d’installer cette plaque qui explique clairement que nous savons ce qui est en train de se produire et que nous n’avons pas d’excuse pour ne pas agir », explique au téléphone Dominic Boyer, l’un des deux anthropologues américains à l’origine de la cérémonie.
À l’époque du déclassement du glacier par le bureau météorologique islandais, sa collègue Cymene Howe et lui menaient une étude sur l’impact social de la disparition de ces titans de glace. Bouleversés par l’anéantissement silencieux du Ok, ils ont décidé de tourner un documentaire à sa mémoire en 2017. C’est à ce moment qu’ils eurent aussi l’idée d’une commémoration officielle.
Leur initiative a finalement été embrassée en hauts lieux. Dimanche, la première ministre islandaise, Katrín Jakobsdóttir, et l’ancienne haute-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme Mary Robinson se sont jointes à la montée. Sur le lieu du glacier déchu, un lac s’est formé où on trouve déjà des traces de vie, explique M. Boyer.
Ce paysage est certainement enchanteur, écrivait Mme Jakobsdóttir samedi dans une lettre ouverte dans le New York Times, « mais cette beauté s’assombrit rapidement dans les yeux de quiconque sachant ce qui se trouvait là et pourquoi ce n’y est plus. La disparition du Ok est encore un autre témoignage du dérèglement irréversible du climat. »
« C’est une cérémonie locale, mais une histoire globale », ajoutait celle qui a pris les rênes du gouvernement en 2017 en promettant un plan ambitieux de reforestation et de transport carboneutre.
Patrimoine mondial
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La relation entre les Islandais et leurs glaciers est unique. On trouve des références à ces empilements millénaires de glace dans leurs chansons, leur littérature et leurs contes, note M. Boyer. Ces insulaires sont aujourd’hui amoureux de leurs monstres de glace, mais ça n’a pas toujours été le cas.
« Au XVIIIe siècle, les Islandais craignaient les glaciers, raconte-t-il. Il faut souligner que, quand ils cèdent, les glaciers peuvent détruire des villages entiers en provoquant des inondations. Mais au début du XXe siècle, les sentiments des gens ont évolué envers cette part de leur patrimoine naturel. On a vu notamment la création des premiers clubs de randonnée. »
« Aujourd’hui, les Islandais se disent très inquiets de l’impact des changements climatiques, poursuit-il. Une multitude d’effets s’abattent sur leur pays : l’apport en eaux aux barrages hydroélectriques est perturbé, les pêches sont modifiées par l’océan qui se réchauffe et le tourisme pourrait subir les conséquences des transformations du paysage. »
Au-delà de leur valeur culturelle et économique, les glaciers sont aussi d’une grande beauté. Et selon l’UNESCO, c’est là un critère suffisant pour inscrire une merveille naturelle à sa liste du patrimoine mondial. En effet, le fait de « représenter des phénomènes naturels ou des aires d’une beauté naturelle et d’une importance esthétique exceptionnelles » peut être invoqué pour le classement.
En juin, le parc national du Vatnajökull, en Islande, a justement fait l’objet d’une inscription à la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Ce site est exceptionnel en raison de la cohabitation entre volcans et glaciers, soutient l’agence onusienne. On y trouve le glacier Vatnajökull, deuxième calotte glaciaire en Europe par son volume, qui se retire à un rythme de 150 m par année à certains endroits.
Malheureusement, le Vatnajökull n’est pas le seul glacier patrimonial en danger. Au printemps, une étude de l’Union internationale pour la conservation de la nature — connue pour sa fameuse liste rouge des espèces animales — s’intéressait aux 19 000 glaciers qu’on trouve sur des sites du patrimoine mondial. À force de modélisation, les auteurs concluaient qu’entre 33 et 60 % du volume total de ces glaciers disparaîtrait d’ici la fin du siècle.

Certains paysages des plus mythiques seront donc défigurés. Au Canada, les glaciers que l’on trouve dans les parcs nationaux de Banff, de Jasper, de Kootenay et de Yoho, ainsi que les parcs provinciaux du mont Robson, du mont Assiniboine et Hamber, pourraient perdre plus de 70 % de leur volume, même si les émissions de gaz à effet de serre étaient grandement réduites.
Hausse du niveau de la terre
Véritables symboles du réchauffement climatique, les glaciers réagissent pourtant subtilement aux bouleversements du temps qu’il fait. Ils sont sujets à la température de leur environnement, mais aussi aux précipitations et à la sublimation de la glace par le soleil. Leur volume évolue typiquement sur l’échelle de plusieurs décennies.
Entre 1993 et 2017, la fonte des glaciers de montagne a été responsable d’environ 20 % de la hausse de 7,5 cm des océans.
En Islande, cependant, la fonte des glaciers est aussi responsable d’un phénomène étrangement paradoxal. En maigrissant, l’immense Vatnajökull provoque le soulèvement de la terre. La masse titanesque du glacier, quand elle disparaît, laisse la croûte terrestre rebondir.
Ainsi, la ville de Höfn a remonté de 50 cm depuis les années 1930. On voit déjà le port devenir impraticable pour les plus grands navires et les tuyaux d’égouts se tordre.

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