Nouvel Ordre Mondial:Franc maçonnerie et extrème droite

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Par Géplu dans EditionNous vous avons présenté le 5 février le numéro spécial de Critica Masonica, titré Extrême droite et ésotérisme, retour sur un coupe toxique, et constitué de onze articles de Stéphane François, extraits de ses travaux sur ce sujet.
Aujourd’hui, avec l’autorisation de Critica Masonica, je puis vous offrir un de ces articles, celui consacré aux relations entre la Franc-maçonnerie et l’extrême droite. C’est un peu plus long que ce que nous publions habituellement, mais le traitement fouillé du sujet le nécessitait.
Vous pouvez commander ici ce numéro spécial de Critica Masonica, et les autres sur cette page de leur site.

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FRANC-MAÇONNERIE ET EXTRÊME DROITE

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Pour une proportion importante de la population, les expressions « franc-maçonnerie » et « extrême droite » sont opposées et inconciliables. Cela est vrai dans une certaine mesure. En effet, si nous avons gardé en mémoire les campagnes antimaçonniques de l’extrême droite, formulées dès l’apparition des clivages politiques au sens contemporain du terme, c’est-à-dire dès le début du XVIIIe siècle avec les premières encycliques, puis au début du XIXe, l’apparition de la droite contre-révolutionnaire (avec le jésuite Augustin de Barruel par exemple), il existe toutefois des exemples de militants d’extrême droite membres de loges maçonniques. Mais surtout, celles-ci ne sont pas forcément des scissions ou des dissidences conservatrices ou d’extrême droite. Par conséquent, après être revenu sur les origines de l’antimaçonnisme de l’extrême droite, nous nous intéresserons aux raisons de l’attrait d’une frange de l’extrême droite pour la franc-maçonnerie, suite à l’influence de la pensée guénonienne.

L’antimaçonnisme de l’extrême droite

L’un des premiers livres à condamner la franc-maçonnerie est celui d’un jésuite conservateur, antidémocrate et rejetant les idées des Lumières, Augustin de Barruel (1741-1820)[1]. En effet, le prêtre dénonce dansMémoires pour servir l’histoire du jacobinisme, un ouvrage en 5 tomes paru à Hambourg entre 1797 et 1799[2], le rôle supposé des francs-maçons dans le déclenchement de la Révolution française. Toutefois, « il est précédé en cela par la brochure du comte Ferrand, publié à Turin en 1790, Les Conspirateurs démasqués. »[3]. Cependant, Ferrand voit surtout dans ce complot l’action d’un protestant, Necker (1732-1804). Barruel va plus loin : il estime que le complot est à la fois antichrétien, antimonarchique et cherchant à détruire la société d’Ancien régime. Les acteurs changent aussi : il ne s’agit plus d’un complot protestant, mais maçonnique. Cette idée se cristallisera dans les milieux catholiques intégristes. Pour s’en convaincre, il suffit de garder à l’esprit la prégnance du « complot judéo-maçonnique » dans ces milieux, comme le montrent les catalogues des Éditions Barruel, des Éditions Saint Rémi, les Éditions de Chiré et, sur Internet, la Bibliothèque Saint-Libère[4]. Récemment encore, le Vatican voyait dans la franc-maçonnerie une secte[5]

Cette idée de complot vient notamment de l’usage de l’expression « Supérieurs Inconnus », forgé initialement par des francs-maçons. En effet, en 1751, le baron Charles-Gotthelf von Hund (1722-1776) fonde une nouvelle forme de maçonnerie : la Stricte Observance ou plus exactement l’Ordre supérieur des chevaliers du Temple sacré de Jérusalem. L’idée était que la franc-maçonnerie serait une perpétuation des Templiers dirigée par des « Supérieurs Inconnus » dont Hund était, selon ses dires, le seul mandataire, s’étant lui-même fait initier par un mystérieux chevalier au « plumet rouge », en 1747. Cette légende va connaître un succès considérable au cours des XIXe et XXe siècles. Récupérés par les antimaçons, les Supérieurs Inconnus vont devenir les vrais maîtres occultes de la franc-maçonnerie. Ils seront assimilés aux satanistes, aux Juifs, aux maîtres de l’Himalaya de la Société théosophique, etc., devenant le symbole de la sphère dirigeante du complot mondial, selon la vulgate conspirationniste.

Cette idée de complot maçonnique se retrouve également chez un auteur écossais, John Robison (1739-1805) qui publie, également en 1797, un ouvrage développant la même thèse, intitulé Preuve d’une conspiration contre toutes les religions et les gouvernements d’Europe fomentées les assemblées secrètes des francs-maçons et des illuminés[6]. Pour ce dernier, les Illuminés de Bavière auraient infiltré les loges françaises et auraient provoqué la révolution française dans le but de mettre en place un gouvernement mondial. À compter de ce moment, la franc-maçonnerie est assimilée à une société secrète, bien que ses rituels aient été divulgués dès 1730 par Pritchard, dans son Masonry Dissected. Malgré cette divulgation ancienne, la question du secret est restée capitale dans les milieux d’extrême droite, qui voient dans la franc-maçonnerie une société secrète.

Ces thèses se diffusèrent en Occident au XIXe siècle, donnant naissance à un antimaçonnisme à la fois virulent et banalisé auprès d’opinion publique. Ainsi, dès 1831, il existe un parti antimaçonnique aux États-Unis, dont le président américain John Quincy Adams fut membre. Cet antimaçonnisme fut encouragé dans les milieux catholiques par différentes bulles et encycliques papales, hostiles à son relativisme religieux[7]. En 1917, tout catholique risquait l’excommunication en devenant franc-maçon, bien qu’initialement, il fût obligatoire d’être chrétien pour l’être.

Mais surtout le XIXe siècle voit la naissance d’une expression qui jouira d’une grande postérité dans les extrêmes droites occidentales : le complot judéo-maçonnique[8]. Ainsi, différents partis et ligues antimaçonniques apparaissent entre 1830 et 1880 en Europe et aux États-Unis. En France cet antimaçonnisme fut développé entre la fin du XIXe siècle et la Seconde guerre mondiale par une foule de publication et de publicistes dont il serait fastidieux de faire l’inventaire[9]. L’une des plus importantes fut la Revue Internationale des Sociétés Secrètes (RISS) de monseigneur Jouin.

À compter de ce moment, l’idée d’un complot mondial d’une société secrète cherchant à renverser les gouvernements va se diffuser dans différents milieux et dans différents pays. Jusqu’à récemment, cette thèse était surtout mise en avant par des auteurs ou des groupes que l’on peut classer à l’extrême droite, principalement dans la mouvance catholique traditionaliste et contre-révolutionnaire. Encore aujourd’hui, des militants notoires de l’extrême droite, considèrent que la Révolution française est à chercher dans l’action de la franc-maçonnerie. C’est par exemple le cas de l’antisémite et ancien collaborateur Henry Coston qui diffusa cette idée des années 1930 à sa mort en 2001. C’est le cas également de Philippe Ploncard d’Assac. Nous pourrions multiplier les exemples…

Henry Coston et Jacques Ploncard (dit d’Assac), le père de Philippe Ploncard d’Assac, étaient des militants d’extrême droite dont l’amitié était soudée amis par un antisémitisme et un antimaçonnisme virulents. Conspirationnistes[10], ils participèrent durant la guerre au dépouillement des archives du Grand Orient de France et à la recherche d’une supposée subversion maçonnique. Ils étaient en outres des membres influents de la Commission d’études judéo-maçonniques (CEJM)[11], qui siégeait dans les locaux du Grand Orient de France. Le financement de leurs activités provenait des occupants nazis, qu’ils fréquentaient dès 1934[12], mais également de l’État français. Leurs thèses furent reprises après-guerre par différents groupes extrémistes, allant des néonazis aux catholiques traditionalistes.

Dans les années 1930, l’idée fut endossée par Julius Evola dont nous déjà parlé dans Critica Masonica[13]. Il voyait dans celle-ci une création moderne ex nihilo et non pas une persistance d’une tradition immémoriale et s’opposait par conséquent à René Guénon, qui considérait la franc-maçonnerie spéculative comme héritière, certes dégénérée, de la franc-maçonnerie médiévale. Il intégra dans sa pensée antimoderne des éléments conspirationnistes issus des thèses antisémites et contre-révolutionnaires d’auteurs comme Emmanuel Malynski et Léon de Poncins, en particulier au livre La Grande conspiration d’Emmanuel Malynski, dont Léon de Poncins cosigna une version abrégée sous le titreLa Guerre occulte. Juifs et Francs-Maçons à la conquête du monde[14], qu’Evola traduisit et préfaça[15]. Dans ses articles, il se penchait sur la notion de « guerre occulte », c’est-à-dire la guerre menée par les sociétés secrètes, notamment la franc-maçonnerie, et par les Juifs contre la tradition, et analysait l’action de ces dernières au prisme de la « contre-initiation »[16].

L’antimaçonnisme est réapparu quasiment à la fin du conflit, reprenant ses vieilles antiennes. Toutefois, il a également muté, en intégrant au vieil anti-judéo-maçonnisme d’avant-guerre des considérations antisionistes se nourrissant d’un anti-maçonnisme musulman[17], que nous trouvons par exemple chez Paul-Éric Blanrue, un publiciste négationniste contemporain. Outre celui-ci, l’un des principaux représentants de ce « nouvel » antimaçonnisme en France est Alain Soral. Celui-ci en fait régulièrement la promotion dans ses vidéos. Toutefois son antimaçonnisme se nourrit également de textes « classiques » parus au début du XXe siècle. Ainsi, il a réédité en 2012 la brochure du publiciste Maurice Talmeyr[18], La Franc-maçonnerie et la Révolution française[19], paru initialement en 1904. Il s’inspire également des ouvrages d’Henri Coston, et de son héritier intellectuel Emmanuel Ratier, récemment décédé, qui participait à des débats à Égalité & Réconciliation, l’association de Soral. Emmanuel Ratier est une figure intéressante de l’extrême droite : diplômé de Science Po, journaliste, éditeur, ancien membre du GRECE, militant néopaïen, pourfendeur des « lobbies » (ie juifs et francs-maçons), il est régulièrement accusé d’avoir été franc-maçon. Quoiqu’il en soit, sa feuille confidentielle Faits et Documents est très bien informé, dévoilant les noms d’hommes politiques appartenant ou soupçonnés d’appartenir à une loge. Il reprend la tradition d’un Henri Coston, mais sans son antisémitisme délirant. Toutefois, l’antimaçonnisme actuel peut également prendre l’aspect de discours hallucinés typiques de certains milieux chrétiens de la fin du XIXe siècle (au moment de l’« affaire Taxil »), tels les ouvrages, articles ou conférences de Laurent Glauzy[20]. Ce nouvel antimaçonnisme s’exprime également dans les milieux catholiques réactionnaires par une condamnation publique, comme l’action des Hommens devant le siège du Grand Orient de France en 2014. L’antimaçonnisme reste donc d’actualité à l’extrême droite la plus radicale.

Guénon et la « vraie maçonnerie »

L’un des points de rencontre entre l’extrême droite et la franc-maçonnerie se situe autour de René Guénon et du recours à la « Tradition ». Ce dernier, à l’opposé d’un Evola qui considérait la franc-maçonnerie comme « antitraditionnelle », voyait dans la franc-maçonnerie l’un des derniers vecteurs de la « Tradition » occidentale. Selon lui, la franc-maçonnerie pourrait se prévaloir d’une origine « traditionnelle » authentique et d’une transmission initiatique réelle, même si celle-ci avait dégénéré par la suite, sous l’influence des pasteurs protestants créateurs de la maçonnerie moderne, James Anderson et Jean-Théophile Désaguliers. Ainsi Guénon n’hésite pas à écrire que « la véritable régularité réside essentiellement dans l’orthodoxie maçonnique ; et cette orthodoxie consiste avant tout à suivre fidèlement la tradition… »[21] Dans plusieurs textes il a affirmé « la filiation existant entre la franc-maçonnerie moderne, spéculative, et la maçonnerie ancienne, médiévale et opérative. Mieux encore, il a fait de cette continuité institutionnelle – ne fût-elle que subtilement décelable […] la condition sine qua non de la légitimité traditionnelle et de la régularité initiatique de la maçonnerie.[22] » Cette idée de « Tradition » immémoriale séduit une frange de l’extrême droite allant des « traditionalistes-révolutionnaires » aux nationalistes-révolutionnaires et en passant par des anciens de la Nouvelle Droite[23].

Il faut également garder à l’esprit qu’il existe quelques loges maçonniques d’extrême droite, au discours réactionnaire sur le plan des mœurs et faisant l’éloge de la hiérarchisation, les loges servant à recruter et à former une nouvelle élite intellectuelle et spirituelle. Ces loges, souvent irrégulières et/ou issues d’obédiences marginales ultraconservatrices, cherchent à maintenir la « Tradition », abandonnée par les loges « révolutionnarisées », ainsi qu’un élitisme spirituel et moral contre le délitement du monde contemporain. En outre, de sa naissance officielle jusqu’à la fin du XIXe siècle, la franc-maçonnerie fut théiste, et donc ouverte à des développements mystiques, voire ésotériques/occultistes. Ces premières loges furent aussi empreintes de positions élitistes, expression de l’aristocratisme de l’époque : outre les athées, les femmes, les serfs et les personnes de condition modeste étaient exclues des loges. Cet aristocratisme persista[24] et se mêla aux thèses guénoniennes.

Il ne faut pas oublier en effet que le fascisme reçut dans un premier temps un accueil favorable dans les milieux maçonniques italiens, du fait de l’anticléricalisme affiché du mouvement fasciste. De plus, la franc-maçonnerie italienne, héritière des idéaux du Risorgimento, était plutôt nationaliste, ce qui favorisa encore le rapprochement. En effet, le fascisme bénéficia d’un accueil favorable de la part de tout un courant mêlant tradition gibeline, franc-maçonnerie, occultisme et paganisme italique. Ce courant mystico-intellectuel, autour notamment d’Arturo Reghini, se caractérisait par un nationalisme et un antichristianisme virulents. Il fut attiré par le fascisme croyant que Mussolini restaurerait la grandeur de l’Italie. Certains maçons firent même partie des premiers fascistes, tel Eduardo Frosini.

Arturo Reghini était un ami et un correspondant de Guénon, mais aussi de Julius Evola. Occultiste, il était membre à la fois de l’Ordo Templis Orientis[25] (ou OTO) et de la principale obédience maçonnique italienne (il a même créé son propre rite maçonnique, le Rite philosophique italien). En 1903, il fonda la Biblioteca Teosofica et fut à l’origine de la section italienne de la Société Théosophique dans laquelle il aurait développé son anticléricalisme. Violemment antichrétien, Reghini signait parfois des articles sous le pseudonyme « le vicaire de Satan ». En effet, « Inconsciemment et à sa manière, Reghini puisait à cette source et en faisait le jeu, exaltant les anciennes “vertus italiques” et la doctrine gibeline de l’Empire, et adressant d’âpres critiques au christianisme, accusé d’être une “croyance asiatique” dont le fondateur Jésus, n’était qu’“un mégalomane hypocondriaque et sentimental, dont la vision du monde créé par Dieu menait à la compassion et aux pleurs”[26]. » Selon Arturo Reghini, pour en finir définitivement avec « […] “l’exotique croix chrétienne” il fallait “rétablir une religion, au sens étymologique et païen du terme, entre l’humain et le divin. Mais ce lien, ce rapport, devaitt être effectif, magique, religieux et ne pouvait être établi par une religion qui n’est plus qu’une croyance et un résidu sentimental”[27] ».

Reghini fut donc le théoricien principal de la « religion italique », une variante italienne du néopaganisme, dans sa variante impériale romaine. C’est en effet avec cet auteur

« […] que la Voie romaine tend à devenir plus explicite, même s’il appartient au courant “orphico-pythagoricien”, marginal par rapport à la Tradition romaine proprement dite. Ce fut précisément autour des revues de Reghini, Atanor (1924), puis Ignis (1925), et enfin, après les ordonnances de Bodrero et les lois sur les sociétés secrètes, Ur (1927-1928) officiellement dirigé par Julius Evola, que se rassembleront tous ceux qui cherchaient à donner au régime [fasciste] un caractère néo-païen et romain[28] ».

De fait, comme beaucoup de partisans de la « voie romaine », Arturo Reghini était un ardent nationaliste qui soutint l’expédition de Gabriele D’Annunzio à Fiume en septembre 1919. Il défendit l’État fasciste, qu’il jugeait anticatholique, jusqu’aux accords de Latran.

Il affirmait également l’aspect païen de la franc-maçonnerie, en particulier ce qui concerne son aspect méditerranéen, égyptien et pythagoricien[29]. Cette franc-maçonnerie païenne existe encore, et elle n’est pas confinée aux rites marginaux. Ces francs-maçons païens recherchent en fait une supposée tradition maçonnique, abandonnée à la suite des pressions de l’Église catholique. La christianisation forcée de la franc-maçonnerie est un thème récurrent chez certains maçons hétérodoxes, notamment chez ceux qui se réclament de la tradition celtique ou de la tradition italique. Un thème qui plaît beaucoup aux militants d’extrême droite initiés à la franc-maçonnerie…

Enfin, la franc-maçonnerie attire aussi des catholiques intransigeants, en dépit du rejet général de celle-ci dans ce milieu. Ces maçons d’un genre particulier se placent dans la filiation du penseur contre-révolutionnaire et catholique intransigeant Joseph de Maistre. Il fut initié au rite écossais rectifié et fut membre de la loge La Sincérité de Chambéry. Au sujet de la franc-maçonnerie, il a pu écrire au baron Vignet des Étoles que « la franc-maçonnerie en général, qui date de plusieurs siècles […] n’a certainement, dans son principe, rien de commun avec la révolution françoise[30] ». En 1810, il regrettait de n’avoir pas pu accepter une invitation d’une loge russe. Il était aussi membre de sociétés initiatiques maçonniques et paramaçonniques chrétiennes, notamment de l’Ordre des Élus Coëns, fondé par Martinès de Pasqually[31].

De fait, Maistre défendait une franc-maçonnerie religieuse contre une franc-maçonnerie rationaliste, moderniste. Cette franc-maçonnerie spirituelle serait selon lui beaucoup plus ancienne et respectable que la franc-maçonnerie moderne, qui, ne serait, quant-à-elle, qu’une branche divergente corrompue. En ce sens, Maistre développe une conception de la franc-maçonnerie opposée à celle d’Augustin de Barruel. Cette franc-maçonnerie spirituelle et presque immémoriale aura une postérité : nous retrouvons cette idée chez René Guénon. De fait, il est fréquent de voir des guénoniens proches de l’extrême droite devenir maçons et abandonner ensuite leur guénonisme pour un illuminisme influencé par Maistre.

C’est le cas, par exemple, de Jean-Marc Vivenza, qui est un personnage intéressant : il fut membre de Troisième Voie, un groupuscule nationaliste-révolutionnaire, dirigé par Jean-Gilles Malliarakis, puis lors de la scission des radicaux, il rejoint la Nouvelle Résistance de Christian Bouchet, dont il fut le bras droit, et grand amateur de thèses ésotériques et occultistes. Il fut également un compagnon de route de Synergie Européenne, une structure nationaliste-révolutionnaire et völkisch fondée par l’ancien néo-droitier Belge Robert Steuckers[32]. Après avoir été nationaliste-révolutionnaire et futuriste, il s’intéressa à l’ésotérisme et devint guénonien et franc-maçon. Suite à la découverte de Martinès de Pasqually, il se fit illuministe, abandonnant son guénonisme. Malgré tout, il a gardé des liens avec ces milieux : il a publié quatre livres chez Pardès : un sur Maistre[33], un sur Saint-Martin[34], un sur Böhme[35] et enfin un dernier sur la Rose-croix[36].

Si la franc-maçonnerie est globalement rejetée par l’extrême droite, dans son acception générique, il est cependant impossible de considérer ce courant politique dans son intégralité comme antimaçonnique. En effet, il existe des liens entre franc-maçonnerie et droite radicale, comme nous venons de le voir. Cet intérêt pour la franc-maçonnerie rejoint le goût de certains de ces militants, cadres ou théoriciens pour l’ésotérisme, en particulier dans la variante guénonienne. Il rejoint également l’intérêt pour la magie et la maçonnerie de marge.

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[1] Sur Barruel, cf. Gérard Gengembre, « Barruel, Augustin de », in Jean-Clément Martin (dir.), Dictionnaire de la contre-révolution, Paris, Perrin, 2011, pp. 83-85. Voir aussi, avec des réserves, Michel Riquet, Augustin de Barruel : un jésuite face aux jacobins francs-maçons, Paris, Beauchesne, 1989.
[2] Une édition abrégée, Abrégé, en deux volumes parut à Londres en 1798-1799.
[3] Gérard Gengembre, « Barruel, Augustin de », art. cit., p. 83.
[4]  www.liberius.net.
[5] Jérôme Rousse-Lacordaire, Rome et les francs-maçons. Histoire d’un conflit, Paris, Berg international, 1996.
[6] John Robison, Proofs of a Conspiracy against all the Religions and Governments of Europe, carried on in the Secret Meetings of Free-Masons, Illuminati and Reading Societies, etc. collected from good authorities, Edinburgh, 1797. Traduction française, d’après la troisième édition de 1798 : Preuves de conspirations contre toutes les religions et tous les gouvernements de l’Europe, ourdies dans les assemblées secrètes des Illuminés, des Francs-Maçons et des sociétés de lecture, recueillies auprès de bons auteurs.
[7] Jérôme Rousse-Lacordaire, Rome et les francs-maçons, op. cit.
[8] Comme un grand nombre de juifs entreront en franc-maçonnerie, vue comme un lieu d’assimilation républicaine, les milieux antisémites en déduiront la supposée connivence entre les francs-maçons et les juifs. Cet amalgame fut facilité par l’usage, dans les rituels francs-maçons, de termes hébreux. Le fameux faux Les Protocol(e)s des sages de Sion mettra en avant ce judéo-maçonnisme pour asseoir son idée de complot juif mondial..

[9] Michel Jarrige, L’antimaçonnerie en France à la Belle époque. Personnalités, mentalités, structures et modes d’action des organisations antimaçonniques, Milan, Archè, 2006.
[10] Ainsi, Jacques Ploncard participe, dès la fin des années 1920, à laRevue Internationale des Sociétés Secrètes (fondée en 1912) du très antisémite et antimaçon Monseigneur Ernest Jouin. En 1979, Jacques Ploncard d’Assac publie un ouvrage intitulé Le Secret des francs-maçons (Édition de Chiré, Chiré en Montreuil). Cet ouvrage a été plusieurs réédité depuis sa publication et est toujours considéré par les milieux de l’extrême droite catholique comme un ouvrage de référence. Henry Coston publiera une vingtaine d’ouvrages antimaçonniques durant toute sa carrière, sous son nom ou sous différents pseudonymes.
[11] Cette commission fut créée à l’instigation du lieutenant SS Moritz en 1942. Moritz était le chef de l’action antimaçonnique en zone occupée.
[12] Michaël Lenoir, « Henry Coston (Henri Coston, dit) et Jacques Ploncard d’Assac (Jacques Ploncard, dit), in Pierre-André Taguieff (dir.),L’Antisémitisme de plume. 1940-1944. Études et documents, Paris, Berg International, 1999, pp. 370-384.
[13] « Evola, l’antisémitisme et l’antimaçonnisme », Critica Masonica, n°6, 2015, pp. 103-122.
[14] Emmanuel Malynski et Léon de Poncins, La Guerre occulte. Juifs et Francs-Maçons à la conquête du monde, Paris, Gabriel Beauchesne, 1936.
[15] Emmanuel Malynski et Léon de Poncins, La Guerra occulta. Ebrei e massoni alla conquista del mondo, Hoepli, Milano, 1939.
[16] Voir notamment, Julius Evola, « Sur la contre-initiation », Ur & Krur. Introduction à la Magie, t. III, Milan, Arché, 1986, pp. 209-224.
[17] Hervé Hasquin, Les pays d’islam et la franc-maçonnerie, Bruxelles, L’Académie en Poche, Académie royale de Belgique,  2013.
[18] Né en 1850 et mort en 1931, Maurice Talmeyr est un auteur antimaçon, ayant publié par exemple : La conspiration maçonnique contre les mœurs (Ligue antimaçonnique, s.d.) ; La Franc-maçonnerie et la Révolution française (Paris, Perrin, 1904).
[19] Maurice Talmeyr, La Franc-maçonnerie et la Révolution française, Kontre-Kulture, 2012.
[20] Voir par exemple Laurent Glauzy, Pédo-satanisme et franc-maçonnerie. L’autel des élites, Maison du Salat, 2015.
[21] Cité in Jean-Pierre Laurant, « Avant-propos » in René Le Forestier,L’Occultisme et la franc-maçonnerie écossaise, Milan, Archè, 1987, p. VIII.
[22] Roger Dachez, « René Guénon et les origines de la franc-maçonnerie. Les limites d’un regard », in Jean-Pierre Brach et Jérôme Rousse-Lacordaire (dir.), Études d’histoire de l’ésotérisme. Mélange offert à Jean-Pierre Laurant pour son soixante-dixième anniversaire, Paris, Éditions du Cerf, 2007, p. 187.
[23] Lors de discussions, une fois la confiance établie, j’ai appris par d’anciens néo-droitiers leur appartenance à des loges, de différentes obédiences. De ce fait, je ne donnerai ni les noms, ni les loges, afin de ne pas mettre ces personnes dans une position désagréable.
[24] Cette tradition conservatrice est encore la norme dans certains pays, comme la Grande-Bretagne, la Scandinavie ou l’Allemagne. Ce le cas particulier de ce pays, voir l’excellente étude de Jacob Katz, Juifs et franc-maçons en Europe 1723-1939, Paris, Cerf, 1995.
[25] Cet ordre magique fut fondé vers 1895 par un journaliste allemand, Theodor Reuss et un riche industriel autrichien, Karl Kellner, tous deux passionnés par l’ésotérisme et l’Orient. À la mort de Kellner en 1905, Reuss le réorganisa sur des bases nouvelles, en particulier sur la magie sexuelle. Le célèbre occultiste anglais Aleister Crowley implanta l’ordre en Angleterre en 1912. Voir infra.
[26] G. M., « Guénon, De Giorgio et la “réorientation” de Julius Evola », pp. 30-31, in G. De Giorgio, L’instant et l’éternité, Milan, Archè, 1988.
[27] Ibid., p. 31.
[28] Renato Del Ponte, « Les courants de la Tradition païenne romaine en Italie », Antaïos, nº 10, été 1996, p. 168.
[29] Cf. Arturo Reghini, Tous les écrits de UR & KRUR, Milan, Archè, 1986.
[30] Joseph de Maistre, Écrits maçonniques de Joseph de Maistre et de quelques-uns de ses amis francs-maçons, Œuvres, t. II, Genève, Slatkine, 1983, p. 133.
[31] Martinès de Pasqually fut le principal inventeur de la franc-maçonnerie occultisante. Participant à l’activité de plusieurs loges jacobites, il va décider de créer sa propre organisation, L’Ordre des Élus Coëns, un système théosophique qui se greffe rapidement sur la franc-maçonnerie. Cet Ordre connut un succès grandissant et très rapidement compta 13 loges en fonction. Son contenu théorique était marqué par la kabbale hébraïque et par le mysticisme chrétien : son objectif était en effet de réintégrer l’état adamique d’avant le péché originel. Pour atteindre cet objectif, des pratiques à la fois hygiéniques (jeûnes, exercices respiratoires), morales (stricte fidélité conjugale) et magiques (théurgie) étaient demandés. À la mort de Pasqually, ses thèses furent diffusées par deux disciples : Louis-Claude de Saint-Martin et Jean-Baptiste Willermoz. Ceux-ci apportèrent des modifications aux pratiques martinésistes, comme la conversation avec « la voix intérieure », l’introspection et la spiritualité (Saint-Martin). Willermoz, quant à lui, fit fusionner le martinésisme avec des rites maçonniques templiers allemands, la Stricte Observance Templière. Le résultat de cette fusion devint l’Ordre des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte, grade final du régime et du rite Écossais Rectifié. Willermoz fut aussi à l’origine du mythe de l’origine égyptienne de la franc-maçonnerie.
[32] Sur l’histoire des nationalistes-révolutionnaires français, voir Nicolas Lebourg, Le Monde vu de la plus extrême droite. Du fascisme au nationalisme-révolutionnaire, Perpignan, Presses Universitaires de Perpignan, 2010.
[33] Jean-Marc Vivenza, Maistre, Puiseaux, Pardès, « Qui suis-je ? », 2003.
[34] Jean-Marc Vivenza, Saint-Martin, Puiseaux, Pardès, « Qui suis-je ? », 2003.
[35] Jean-Marc Vivenza, Böhme, Grez-sur-Loing, Pardès, « Qui suis-je ? », 2005.
[36] Jean-Marc Vivenza, Rose-croix, Grez-sur-Loing, Pardès, « B.A.-BA », 2005.

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